Au fil des jours


par  J.-P. MON
Publication : octobre 1994
Mise en ligne : 27 avril 2008

Des titres qui font plaisir !

D ans le Monde du 31 juillet, à propos de la reprise américaine, un paragraphe était intitulé : Plus de machines, moins de salariés…

Après nous avoir montré l’étendue de la reprise américaine, caractérisée surtout par une augmentation de 22% des profits des grandes sociétés américaines cotées en Bourse, alors que leurs ventes n’ont augmenté que de 12% (!!!), l’auteur de l’article explique que cette croissance des profits est due avant tout aux investissements de production et aux réductions massives d’effectifs dont on parle peu à la "une " des journaux mais qui n’en continuent pas moins (17% de licenciés en plus par rapport au nombre de licenciés du premier semestre 1993). Et ce n’est pas fini : les entreprises ont encore accentué leurs efforts d’investissement au deuxième trimestre de 94. Elles s’équipent de nouveaux outils technologiques (télécommunications, ordinateurs,…). Elles risquent cependant de se trouver confrontées à un essoufflement de leur marché domestique dû à une pression accrue sur les salaires et les revenus de leur personnel qui se traduit par un ralentissement des achats. Il faut donc qu’elles trouvent impérativement des débouchés au delà de leur frontières. D’où l’intérêt d’un dollar faible.

Mais les Japonais et les Européens ne l’entendront peut-être pas de cette oreille. Il faudrait aussi rappeler aux uns et aux autres que « celui qui ne peut acheter ruine celui qui ne peut vendre », citation de J.Duboin que nos lecteurs auront reconnue.

Concurrence déloyale

Dans un entretien accordé au Monde le 24 août dernier, Henri Emmanuelli, Premier Secrétaire du parti socialiste, déclarait : « Ce qui m’avait frappé, lors du congrès du Bourget, c’est l’absence de clarification politique. On en est sortis incapables de se mettre d’accord sur la question du temps de travail, par exemple. Sur ce point là, moi, je clarifierai. Dans la motion que je présenterai, le principe des trente-cinq heures sans baisse de salaire sera clairement réaffirmé. »

Et que croyez-vous qu’en pense les syndicats, du moins la CFDT ? Que c’est une hypocrisie ! D’après son Secrétaire Général, Nicole Notat :« La CFDT n’hésitera pas à dénoncer les hypocrisies, qu’elles viennent de droite ( tout miser sur l’allégement des charges comme solution globale et radicale aux difficultés de l’emploi) ou de gauche (les trente-cinq heures sans perte de salaire). » La brave dame craint que le parti socialiste ne « fasse de la surenchère sur le plan social ou se considère comme la super-organisation syndicale du pays ».

Les lecteurs de la Grande Relève qui militent dans ce syndicat ont encore beaucoup de travail à y faire…

En douce…

E n février 94, le gouvernement a fait discrètement [1] passer le plafond d’amortissement des véhicules des entreprises de 65.000 à 100.000 francs, ce qui se traduit par un allégement des charges sur le parc automobile. Renault, qui s’est empressé de diffuser [2] cette information auprès des entreprises, donne un exemple d’allégement particulièrement révélateur : pour l’acquisition d’une Laguna RN 18, valant 99.800 francs, l’impôt sur les sociétés, qui s’élevait à 2.900 francs soit 33,33%, passe désormais à 0. Ce qui, pour un amortissement sur 4 ans, représente un avantage fiscal de 2.900 x 4 = 11.600 francs.

C’est fou ce que nos gouvernements successifs aiment les entreprises…

Touche pas à mes avantages sociaux !

Les résultats des élections néerlandaises du mois de mai dernier ont surpris la plupart des observateurs politiques : les Chrétiens Démocrates du centre droit et leurs alliés Travaillistes du centre gauche ont subi une lourde défaite et, du coup, aucun parti ou groupe de partis ne dispose de majorité parlementaire. Et tout ça parce que les dirigeants de ces partis n’ont pas pris au sérieux la menace des retraités qui se sont mobilisés pour défendre leurs retraites.

L’analyse du vote a révélé que ce que l’on appelle l’État Providence est devenu une réalité politique incontournable aux Pays-Bas, comme dans le reste de l’Union européenne. La coalition gouvernementale sortante (Chrétiens démocrates et Travaillistes) avait tenté l’année dernière de serrer la bride au système de sécurité sociale qui protège les néerlandais, du berceau au tombeau. Ces coupes budgétaires ont mis en rage les personnes âgées, dont les retraites étaient menacées et les jeunes, qui tiennent par dessus tout à leurs allocations de formation et de transport.

Les électeurs néerlandais ont délivré un message très clair : les hommes politiques qui s’attaqueront aux droits acquis doivent s’attendre à en payer les conséquences lors des élections [3] !

Mains propres à la française

Tout le monde a entendu parler de l’enquête “Mani pulite” lancée par des magistrats italiens contre la corruption qui règne en Italie et qui a, entre autres choses, conduit à la déroute de la Démocratie Chrétienne qui, depuis 50 ans, en collaboration avec les milieux d’affaires et la plupart des autres partis politiques, avait mis en coupe le pays. Devant le scandale provoqué par cette enquête de “petits juges””, le “système” se défend et Bettino Craxi, secrétaire général du parti socialiste, dénonce « les chacals, les hyènes justicialistes »…

Et voilà soudain que la classe politique française s’offusque à son tour de ce qu’un juge belge ait osé envoyer en prison (pour quelques jours) Didier Pineau-Valencienne, PDG du groupe Schneider après une inculpation pour « faux en écriture et abus de biens sociaux ». C’est ensuite au tour de P.Suard, PDG du plus grand groupe mondial de télécommunication, d’être mis en examen « pour faux et usage de faux, escroquerie et corruption ». Aussitôt, des ministres en exercice s’insurgent : Longuet, ministre de l’industrie (qui aurait pourtant intérêt à se faire oublier) juge « navrant qu’on puisse ternir ainsi l’image du groupe Alcatel » (qui, notons-le au passage, s’est aussi illustré pour de juteuses sur-facturations aux détriments de France Télécom), et A. Madelin, ministre des entreprises, se déclare « Extrêmement surpris » de cette mise en examen.

Rendez vous compte qu’en mettant en cause le PDG d’un groupe de renommée mondiale, on risque de perdre des marchés et… des emplois ! Toutes ces mises en cause de grandes entreprises françaises « vont avoir des répercussions catastrophiques à l’étranger », déclare le PDG d’un grand groupe internationalisé, qui ajoute : « Nous apparaissons comme un pays de coquins, une république bananière… D’autres pays, comme l’Allemagne, font bien pire et pourtant gardent le silence chez eux. Ils ne seront pas les derniers à utiliser nos troubles judiciaires contre nous auprès des clients étrangers. ». Ainsi donc les affaires doivent passer avant tout, bien avant la morale, bien entendu, et , avant même que les juges aient terminé leur enquête, nos PDG doivent être blanchis, lavés de tout soupçon… Comme s’il n’y avait pas de crapules chez eux, comme il y en a dans tous les milieux !

Mais heureusement, les juges tiennent bon et la liste des PDG “mis en examen” s’allonge presque tous les jours…


[1B.O. des Impôts du 15-2-94

[2d’après Renault Informations Entreprises.

[3Newsweek 16-5-94.