Budget, budget, quand tu nous tiens

CHRONIQUE DE L’ÉLYSÉE-PALACE...
par  E.R. BORREDON
Publication : août 1980
Mise en ligne : 25 avril 2008

Confidences recueillies par Jacques VEAU (ex Bonhomme) Français Moyen et rapportées par E.R. BORREDON.

Il est une catégorie de Français à laquelle nous nous intéressons particulièrement... tous les sept ans...
Il s’agit des retraités de la fonction publique.
Les ayant connus et appréciés durant leur période d’activité professionnelle, je n’ignore rien de leurs problèmes l’âge de la retraite venu.
Comme vous le savez sans doute, les pensions de retraite étaient versées à leurs bénéficiaires, avant mon accession à la magistrature suprême, à trimestre échu.
Cela signifie qu’ils devaient attendre trois mois pour pouvoir disposer de leurs pensions dont beaucoup relativement modestes. A une époque où le pouvoir d’achat qu’elles représentent s’amenuise sensiblement de mois en mois (1 % en moyenne), vous imaginez sans peine les difficultés matérielles que cette pratique du règlement trimestriel comportait pour un grand nombre de bénéficiaires de ressources limitées et quelle escroquerie financière elle était au détriment de l’ensemble d’entre eux.
Je n’eus donc, une fois élu, aucune peine à faire insérer dans la loi de finances de 1975, en décembre 1974, cette mesure humanitaire et honnêtement justifiée du payement mensuel. Mais il y avait un inconvénient à son application pure et simple immédiate, conséquence d’une « astuce  » d’un de mes prédécesseurs aux finances.
La Dette Publique est un chapitre des dépenses du budget national dans lequel sont inscrites les pensions.
Pour alléger l’exercice en cours de celles d’entre elles dues et échues au 31 décembre, mon prédécesseur n’avait rien trouvé de mieux que de reporter cette échéance du 31 décembre aux premiers jours de janvier de l’exercice suivant.
Avec la mensualisation, le retour de bâton de cette astuce géniale nous aurait imposé, au mieux, d’inscrire dans les dépenses de l’exercice 1975, deux mois de pensions supplémentaires, soit quelques milliards lourds en plus.
Comment se tirer de cette situation embarrassante sans perdre la face  ?
Eh bien, j’ai fait tout simplement insérer dans les modalités d’application de la loi le terme
progressivement ».
Il fallait y penser.
Et c’est ainsi que la loi votée en 1974, et dont j’ai pu revendiquer à mon profit le caractère hautement honnête, social et humanitaire, n’est toujours pas appliquée en 1980, pour les pensionnés de la région parisienne en particulier.
Entre temps, il a été facile de laisser entendre à l’opinion publique que les intéressés, malgré les prestations qu’ils avaient fournies dans leur période d’activité, étaient, en fait, à la charge des travailleurs.
Par ailleurs ils ne défilent plus dans les rues de la capitale, ils n’empoisonnent pas la vie des autres.
Leurs droits sont reconnus, c’est l’essentiel.
Qu’ils prennent donc patience, si leur santé et leurs difficultés matérielles le leur permettent.
Evidemment, tant qu’ils sont en vie, ils ont leurs bulletins de vote.
Je m’en soucie, croyez-le bien, tous les sept ans.
La loi de 1974 étant peu connue du public, un candidat avisé à la Présidence pourra, l’équilibre strict d’un budget n’étant plus une nécessité comme il l’était en 1975, en prendre à son compte la remise immédiate en vigueur pour 1981, en se rappelant ainsi opportunément à l’attention des intéressés tout au moins à ceux qui seront encore en vie.
Mais me direz-vous, les représentants élus, députés, sénateurs, ont bien pris connaissance de la loi de 1974 avant de la voter. L’ambiguité du terme « progressivement » qui pouvait en reporter l’application effective aux calendes grecques ne les a pas frappés !
Et ils n’ont eu aucune réaction en constatant que six ans après leur vote, les pensionnés étaient toujours aussi illégalement traités !
C’est ainsi et je n’y peux rien.