Course aux armements ou aux débouchés ?
par
Publication : août 1980
Mise en ligne : 25 avril 2008
Albert Chantraine, écrivain et poète belge au service de la Paix, nous a communiqué la traduction de la conférence intitulée « Développement et Course aux Armements », faite à l’Université de Chicago, le 22 mai 1979, par Mac Namara, Président de la Banque Mondiale et ancien Secrétaire à la Défense des Etats-Unis.
En voici les passages les plus significatifs :
...« L’ordre ancien est certainement en train de disparaître.
Le début de son déclin petit être situé à
partir de ce jour froid de 1942 où, à quelques centaines
de mètres de l’endroit où nous nous trouvons assis, a
commencé la première réaction nucleaire en chaîne.
Les conséquences de cet événement ont été
de transformer notre conception de la sécurité internationale,
parce que des lors, l’homme n’avait plus seulement la capacité
de faire la guerre. mais aussi de détruire la civilisation.
...« Le concept de la sécurité dépasse de
beaucoup la simple force militaire, et une société peut
arriver au stade où la multiplication de la défense militaire
ne conduit plus à une sécurité plus grande.
...« En effet, jusqu’à un certain point, une telle dépense
réduit sévèrement les ressources nécessaires
dans d’autres secteurs essentiels, comme les services sociaux, alimentant
ainsi la course futile et réactionnaire aux armements. Une dépense
militaire excessive diminue plutôt la sécurité qu’elle
ne l’augmente.
...« Les dépenses pour la défense à l’échelle
mondiale, ont tellement augmenté qu’il est difficile d’en mesurer
toutes les dimensions.
« Le montant total excède maintenant 400 milliards par
an.
« On estime à 36 millions le nombre d’hommes qui se trouvent
sous les drapeaux des forces régulières actives et paramilitaires
du monde, plus de 25 millions d’autres en réserve et quelque
30 millions de civils remplissent eux aussi des fonctions militaires.
« Les dépenses publiques pour la recherche et le développement
des armes approchent actuellement 30 milliards pour une année
et mobilisent les talents d’un demi-million de scientifiques et ingénieurs
à travers le monde.
« C’est le plus grand effort de recherche jamais accompli dans
aucun champ d’activité sur terre et qui consomme une plus grande
partie d’argent destiné à la recherche publique, que ne
le font les problèmes d’énergie, de santé, d’éducation
et de nourriture réunis.
...« Et pourtant, ce n’est pas dans les nations industrialisées,
mais dans les pays en voie de développement que les budgets militaires
s’élèvent le plus rapidement.
...« En moyenne, dans le monde, le contribuable moyen doit compter
dans sa vie, donner trois au quatre années de son revenu pour
la course aux armements.
« Qu’aura-t-il en retour de cela ?
« Une plus grande sécurité ?
« Non. A ce stade exagéré, seulement un risque plus
grand, un plus grand danger et un plus grand retard encore sur le chemin
menant aux buts réels de la vie...
...« Si nous examinons les dépenses de la défense
à travers le monde d’aujourd’hui, et les comparons d’une manière
réaliste ait spectre complet des actions qui tendent à
promouvoir ordre et stabilité ait sein des nations et entre elles,
il est évident qu’il y a là une très mauvaise et
irrationnelle répartition des ressources.
...« En tant que participant aux arrangements initiaux des tests
nucléaires et aux discussions sur la limitation des armes, je
suis absolument convaincu de la possibilité de parvenir à
des accords raisonnables,
...« Il existe aujourd’hui plus d’un milliard d’êtres humains
dans les pays en voie de développement dont le revenu individuel
a pratiquement stagné depuis dix ans. En termes statistiques
et en prix constants le revenu n’a augmenté que de deux dollars
par an, ce qui donne 130 dollars en 1965 et 15(1 dollars en 1975.
...« Cependant ce qu’il est impossible de faire dire aux statistiques.
c’est la dégradation humaine à laquelle est condamnée
la plus grande majorité de ces individus à cause de celte
pauvreté.
« La malnutrition sape leur énergie, stoppe la croissance
de leurs corps et raccourcit leurs vies. Le manque d’instruction assombrit
leur esprit et bouche les voies vers le futur. Des maladies que l’on
peut éviter mutilent et tuent leurs enfants. La crasse et la
laideur polluent et empoisonnent leur environnement.
« Même le don miraculeux de la vie avec tout son potentiel
intrinsèque, si prometteur et alléchant pour nous. se
réduit pour eux à un effort désespéré
pour survivre.
...« Cependant le problème fondamental est, je crois, moral.
L’histoire humaine, dans son ensemble, a reconnu le principe que le
riche et le puissant se doivent moralement d’assister le pauvre et le
faible. C’est ici que le sens de la communauté doit s’affirmer.
que ce soit une communauté familiale, nationale ou internationale.
...« La justice sociale n’est pas simplement un idéal abstrait,
c’est aussi une voie appréciable pour rendre la vie meilleure
à tout le monde.
...« Maintenant il est vrai que l’argument moral ne persuade plus
grand monde.
« Très bien. Pour ceux qui préfèrent les
arguments qui touchent leurs propres intérêts. Il en existe
quelques-uns très solides.
« Les exportations procurent un emploi sur huit dans la fabrication
aux Etats-Unis, utilisent un hectare sur trois des terres cultivables
et environ un tiers de ces exportations vont vers les pays en voie de
développement.
« En effet, les Etats-Unis exportent plus actuellement vers ces
pays là que vers l’Europe de l’Ouest et de l’Est, la Chine, et
l’Union Soviétique réunis.
« De plus, les Etats-Unis obtiennent une meilleure qualité
de leurs matières premières provenant des pays en voie
de développement ; plus de 50 % de leur étain, caoutchouc
et manganèse, plus des quantités considérables
de Tungsten et de Cobalt, sans parler de leur pétrole.
« L’économie américaine dépend donc de plus
en plus de la capacité des nations en voie de développement
à pouvoir à la fois payer le prix de ces exportations
et d’approvisionner les Etats-Unis en matières premières
importantes.
...« Ainsi, pour les nations développées, faire
un plus grand effort pour assister les pays en voie de développement
n’est pas simplement la juste chose à faire, c’est aussi du point
de vue économique une nécessité avantageuse.
L’ancien ministre de la Défense prend donc enfin conscience
de la nécessité morale de mettre une limite à la
course aux armements... Mais le Président de la Banque Mondiale
ne perd pas de vue l’intérêt économique de son pays.
Cette reconduction du Plan Marshall obéit aux mêmes mobiles
que celui-ci : assurer des débouchés à la production
pléthorique américaine qui fait peser la même menace
d’effondrement des cours et d’accroissement du chômage que celle
des années 30.
« Exporter ou mourir » disait Hitler !...