Une bonne idée

Soit dit en passant
par  G. LAFONT
Publication : août 1980
Mise en ligne : 25 avril 2008

Peut-être pas géniale mais au point où nous en sommes aujourd’hui il n’y a pas le choix. Elle n’est même pas nouvelle, mais qu’est-ce que ça peut faire ? On pique les bonnes idées où on les trouve. Emise, cela fait un petit bout de temps déjà, par je ne sais quel précurseur outré de voir se perdre tant de coups de pieds au derrière, elle tombait au milieu de l’indifférence générale et on ne devait pas lui donner de suites. Pourquoi ? Allez savoir. Ça ne faisait pas sérieux. Ni même convenable. Et puis, et surtout, comme chaque fois que l’on veut monter une bonne affaire, il fallait trouver du fric. Des capitaux, qu’on dit dans le monde du bizeness. Pas moyen de faire autrement. Etait-ce seulement rentable ? Et le petit épargnant en quête de placements de père de famille, devenu méfiant, préférait placer son fric, quand il lui en restait, au P.M.U. Enfin, il n’y avait pas urgence.

Alors, on a parlé d’autre chose... Mais l’idée était lancée. Et, comme toutes les bonnes idées, elle faisait son chemin. Et maintenant, voilà que ça urge.

C’est par un hasard providentiel qu’elle m’est revenue à l’esprit l’autre jour en lisant dans le journal la réponse de M. Raymond Barre, plus en forme que jamais, aux chômeurs venus réclamer du boulot, les invitant à
créer eux-mêmes leur entreprise. Ce fut pour moi une illumination.

Et dire que depuis le temps que l’on voit défiler à Matignon des économistes de plus en plus distingués, avec plan de redressement et de lutte contre l’inflation et le chômage, et, dans les rues de la capitale, en rangs serrés, avec pancartes, des énergumènes demandant du travail, personne encore n’avait imaginé cette solution pour résoudre le problème de l’emploi. Alors, ouest-ce qu’on attend ? Pour une fois que nous avons au gouvernement le meilleur économiste de France, et peut-être de la planète, il faut en profiter, non ? Même si cela doit faire ricaner dans l’automobile et dans le bâtiment. Alors, avec la garantie du Premier ministre et la bénédiction du Président de la République, on peut y aller. Créons des entreprises.

Moi, je veux bien, mais quelles entreprises ? Vous avez une idée  ? C’est ici que les choses se compliquent. Et ça ne fait que commencer. On pourrait demander à R. Barre, en le caressant dans le sens du poil. Il a peut-être une liste toute prête dans sa poche. Il se fera un plaisir de la montrer. Quoi qu’en disent les rouspéteurs professionnels cela ne va pas si mal. Ce n’est pas le boulot qui manque, c’est l’occasion. Il suffirait de pas grand chose pour que les affaires redémarrent. Tout le monde ne se plaint pas, allez. Voyez les Pompes Funèbres. En plein essor. Jamais on n’avait vu - et pourtant on en a vu - d’aussi beaux enterrements l’affaire Boulin, l’affaire de Broglie...
Seulement, plutôt que de laisser aux seuls chômeurs l’honneur de casquer pour la création de nouvelles entreprises, pourquoi ne ferait-on pas appel à la générosité publique comme cela se pratique tous les dimanches et jours de fête carillonnée, pour les aveugles, les enfants handicapés, la lutte contre le cancer, les vieux, et j’en oublie ? Une quête de plus ou de moins, qui s’en apercevra ?

En ces heureux temps que nos enfants un jour appelleront peutêtre la Belle Epoque, où l’on voit des cultivateurs en colère venir déverser sur les routes nationales des tonnes d’artichauts, de choux-fleurs, de pommes, de tomates qu’ils ne réussissent plus à vendre, cependant que des sous-prolétaires continuent de claquer du bec dans leurs clapiers bétonnés ; où l’on entend un Premier ministre déclarer sans rire que les chômeurs, s’ils tiennent tant à travailler, n’ont qu’à créer eux-mêmes leur entreprise ; où des Tartarins en goguette s’en vont chasser le Gaspi armés de sabres de bois, pour récupérer les déchets de la société de consommation, il ne reste qu’une solution qui ne pourra pas déplaire à Raymond Barre puisqu’il en est involontairement l’initiateur : créer une entreprise nationale de récupération des coups de pied au cul qui se perdent.

La souscription est ouverte au siège de « la Grande Relève  ».