Un chômeur condamné... pour vol ?
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Publication : septembre 1977
Mise en ligne : 18 avril 2008
J ’AI 17 ans et je suis chômeur. Musardant chez
un libraire de livres anciens, j’ai assisté, planqué derrière
3 mètres cubes de vieux bouquins, au marchandage qui opposait
le patron à une pauvre veuve qui tentait de lui écouler
un sac plein de livres ayant appartenu à son défunt. Marché
conclu, la vieille s’éloigne et mon commerçant s’applique
à inscrire un prix sur chacun des volumes. Curieux, je constate
que le total fait bien dix fois la mise !
Alors, discrètement, je lui en fauche un, au hasard, et je détale
la conscience à l’aise.
Le libraire ouvre le bec. Il en sort un hululement de sirène.
La police, qui veille à la sécurité des personnes
et des biens, me hèle et me hâle au commissariat où
l’on me met à l’abri. Le corps du délit est sur mon corps.
Je nie. J’affirme que le bouquiniste a installé sa marchandise
sur le trottoir pour qu’on la lui prenne.
- « Pour la vendre » larmoie-t-il.
J’affirme qu’il m’a mis le volume dans la poche.
- « Il n’est pas solvable, il est chômeur » tape un
inspecteur sur son P.V. Devant le juge, je soutiens que le commerçant
était plus voleur que moi, puisqu’il a pris tous les livres pour
le dixième de leur valeur, qu’il pouvait bien me revenir un pour
cent en ma qualité de témoin de leur acquisition.
- « Argutie », affirma le Procureur dans sa toge en déposant
son mortier sur son tableau de bord. Cet incapable est coupable de vol
pur et simple, comme ce Libri de triste mémoire, que Berryer
défendit il y a 25 lustres. Le commerce est libre, pas le vol.
Le juge, qui prétendait avoir des lettres, sinon de l’esprit,
demanda le titre du bouquin. Son greffier, un vétéran
de la guerre du Mexique, le renseigna : « Auteur, un certain Edward
Bellamy, titre Cent ans après ou l’an 2000 ».
- « Très bien, 2 000 francs d’amende. Affaire suivante
».