L’économie distributive et le mal politique

Les prochaines élections
par  J. CARLESSE
Publication : septembre 1977
Mise en ligne : 18 avril 2008

QUAND le fourrage est rare dans l’étable, les ânes se battent. Ils ne se battent plus lorsqu’il est abondant. Serions-nous plus bêtes que les ânes ou plus avides de luttes et de combats ? C’est ce qu’ont laissé supposer les attitudes, les paroles et les écrits de la gent politique, c’està-dire de tous ceux qui s’expriment en privé ou en société, épisodiquement ou d’une manière constante, individuellement ou collectivement sur les questions économiques et sociales.
Un’ besoin maladif les pousse à rechercher ce qui risque de les dresser les uns contre les autres plutôt que ce qui peut obtenir leur commune adhésion.
Interrogé individuellement, chacun, à quelque famille politique qu’il se réclame, prétend être pour la liberté, le relèvement des conditions de vie des plus déshérités et pour une marche vers l’égalité dans tous les domaines. Personne ne se dit plus partisan du capitalisme, et, si tous n’osent pas se déclarer ouvertement socialistes c’est que certaines formations ont monopolisé ce terme en lui donnant une acceptation qui rebute quelques bonnes volontés.
Il est vrai que l’on peut mieux mobiliser les masses par des «  contres » que par des « pour ». Aussi la tentation est grande, pour ceux oui aspirent à prendre en main les destinées de leurs contemporains, de personnaliser l’obstacle pour s’en faire les pourfendeurs glorieux. Et c’est aussi plus facile et plus expéditif que de tenter d’expliquer par le détail les mécanismes grippés à rénover.
On se donne plus l’air d’un révolutionnaire en vitupérant contre le patronat, les capitalistes internationaux, voire le gouvernement, qu’en proposant le plan d’une nouvelle économie sociale tenant compte de l’abondance et des progrès de la science.
Alors on en arrive à cet état de choses qui caractérise tous les pays démocratiques : la division en deux clans à peu près égaux de la population. Chacun prétendant proposer la meilleure solution pour rendre ses concitoyens plus heureux. Et pour le prouver chaque partie prête à l’autre des intentions malhonnêtes et fait tout pour l’empêcher d’agir.
Dès que l’une propose une solution, l’autre s’empresse de démontrer qu’elle cache des manoeuvres inavouables et mobilise tous ses partisans pour la déconsidérer et la marquer au fer de l’abomination.
Il y a des expressions qui font inutilement peur et qui mériteraient pourtant d’être prises en considération. Je pense à la nationalisation du crédit dont certains tentent de faire leur prochain cheval de bataille. A peine lancée, cette idée a fait se cabrer non seulement ceux qui le dispensent, mais aussi ceux qui y ont recours. Les uns parce qu’ils se voient privés d’un précieux privilège, les autres parce qu’ils redoutent la monstrueuse machine étatique qui remplacera le contact humain de leur prêteur.
On sent que cette revendication est lancée, moins dans un esprit de logique financière que pour attaquer une certaine partie de ce qu’il est convenu d’appeler la classe dirigeante. Pour ses promoteurs, nationaliser le crédit c’est uniquement transférer à l’Etat les intérêts très substantiels prélevés par les actuels vendeurs d’argent, qu’ils aient nom banque, organisme de crédit ou même usurier. Or aucune nationalisation ne pourra empêcher un particulier de prêter de l’argent à un autre moyennant un intérêt qui peut très bien

être camouflé.
Ce qu’il est urgent de supprimer c’est la possibilité pour une banque de prêter de l’argent créé de toute pièce par un jeu d’écriture. Qu’elle prête l’argent qu’elle possède est une affaire, mais qu’elle en fabrique pour en tirer un profit en est une autre, qui est l’affaire de tous.
Dans le premier cas il s’agit d’un transfert provisoire, moyennant intérêt, de pouvoir d’achat ; dans le second d’un délit d’inflation et de faux monnayage.
Aussi plutôt que de revendiquer la nationalisation du crédit, qui prend inutilement des airs d’expropriation, il serait plus persuasif de prôner l’interdiction à quiconque (sauf à l’Etat) de créer de la monnaie. Cette mesure paraît tellement logique que personne n’oserait s’y opposer, d’autant nue le plus grand nombre croit encore que seul l’Etat a le monopole de « battre » monnaie.