Question saugrenue
par
Publication : septembre 1977
Mise en ligne : 18 avril 2008
L’HOMME doit-il être mis au service de la machine,
ou la machine au service de l’homme ? Si l’on vous pose la question
et que vous répondez, sans même réfléchir
et comme allant de soi : la machine doit être mise au service
de l’homme, c’est que vous n’entendez rien à l’économie
politique, et le professeur Barre vous collera un zéro.
Le professeur Barre, comme tous les économistes distingués,
pense tout autrement... Ainsi, Jacques Chirac, qui se prépare
à tout hasard à sauver la France si on le lui demande
gentiment après la faillite du plan de redressement et celle
escomptée de la gauche au pouvoir, Jacques Chirac, donc, fait
beaucoup parler de lui depuis qu’il est maire de Paris et qu’il piaffe
devant l’Elysée, il ne m’en voudra pas, j’espère, si je
lui fais un peu de publicité gratuite.
Préludant au tour de France de l’emploi de son concurrent en
juin dernier, Jacques Chirac a déclaré au micro de FranceInter
« que le chômage n’était plus acceptable dans la
société française ». Ce n’est pas une découverte,
mais cette déclaration d’un ancien Premier ministre qui ne demande
qu’à le rede venir, en attendant mieux, aura été
droit au coeur du million et quelques chômeurs qui attendent que
l’on s’occupe d’eux.
M. Chirac qui, sans être le meilleur économiste français
comme l’autre, en connaît quand même un bout, a ajouté
le plus sérieusement du monde : - « Il faut d’abord prendre
les mesures qui s’imposent, notamment en matière de relance sectorielle...
».
Ces mots rappelleront peutêtre à quelques-uns, et les rajeunira du même coup, les paroles historiques prononcées par un ancien président de la Ille république, que l’on venait de rappeler précipitamment de son Tarn-et-Garonne pour sauver le pays - déjà ! - au bord de la révolution et de la faillite... Ces belles paroles, les voici « Je redresserai la situation par des moyens appropriés ».
On voit que Jacques Chirac, qui devait être encore au biberon à l’époque, connaît ses classiques. Il y a de l’espoir. Mais il ne s’en est pas tenu là. Pour bien montrer qu’il a tout de même sa petite idée à lui, il a ajouté : - « Il vaut mieux payer les gens à travailler que de les payer presque aussi cher à ne rien faire ».
Je ne sais pas ce que vous pensez de ces propos, même
si vous n’êtes pas chômeurs, mais moi, ils m’ont laissé
pantois. Ainsi, M. Chirac, qui n’est tout de même plus un gamin,
ni un apprenti, a parlé pour ne rien dire. Et encore je suis
poli. Même feu Ferdinand Lop -vous savez, ce candidat à
la présidence de la République découvert par des
étudiants en mal de canular, qui avait mis à son programme
« l’extinction du paupérisme à partir de dix heures
du soir » - même lui n’aurait pas trouvé un truc
pareil.
Seulement Chirac a eu tort d’en rester là. Donner du travail
aux chômeurs, mais c’est ce qu’ils demandent, à défaut
d’un siège d’administrateur c h e z Dassault ou de conseiller
d’Etat. Ils sont plus d’un million en France dans ce cas. Cinq millions
dans l’Europe des neuf. Et dans tous les pays industrialisés
on en voit qui font la queue aux portes des agences pour avoir du boulot.
Il doit bien y avoir une raison à ce phénomène
? M. Chirac ne sait pas ?
Pourtant, on ne devrait pas ignorer à Sciences Po ou à l’E.N.A. qu’à l’origine de cette longue crise que traverse notre pays comme tous les pays modernes, et dont nous n’arrivons pas à sortir, on trouve les grandes découvertes des sciences et des techniques qui, du XIXe siècle à nos jours, en remplaçant l’homme par la machine, puis par l’électronique, sont venus bouleverser l’économie capitaliste.
Depuis que notre ancêtre Adam s’est fait virer du paradis terrestre par un propriétaire vindicatif, et condamner aux travaux forcés à perpète pour un chapardage de pommes, les temps ont bien changé.
Réduits à gagner leur pain à la sueur de leur front les descendants du premier homme, qui n’étaient pour rien dans cette malheureuse histoire, se sont mis à réfléchir. Et comme ils n’étaient pas aussi cons que M. Chirac voudrait le leur faire croire, peu à peu, en y mettant le temps, ils ont trouvé le moyen de faire des machines qui travaillent à leur place.
Il ne leur reste plus qu’à en tirer les conséquences, je veux dire qu’à renvoyer à l’école les économistes distingués et à leur faire comprendre, si c’est possible, que le régime capitaliste n’est plus adapté aux techniques révolutionnaires du XXe siècle et qu’il faut lui substituer le Socialisme Distributif.