Belle redistribution !


par  H. BOUCHÉ
Publication : octobre 1990
Mise en ligne : 7 avril 2008

Voici, transmis par un lecteur, un témoignage sur les beautés du système, bienfaits du RMI compris :

Au secours, Président !

Lundi 26 février 1990
Je fais partie des 25.000 exclus du département de la Sarthe. Non seulement les problèmes d’argent, les problèmes de santé, la vie familiale, l’équilibre moral, les recherches, les entretiens. Chômage et exclusion vont de pair, Monsieur le Président.
Au secours, Président !
Je ne veux pas vivre derrière un mur d’intolérance. Fort heureusement, dans notre bonne ville du Mans, nous, les chômeurs, nous ne payons pas le bus, nous pouvons aller à la piscine ou jouer au tennis gratuitement.
Mais à quel prix ! Allez donc présenter votre offre de chômeur à une personne, qui travaille pour avoir une gratuité quelconque ! Allez donc recevoir ce ticket gratuit que l’on vous jette avec dédain ! Allez donc vous baigner malgré tous ces préjugés sur votre personne ! Vous êtes un chômeur, un exclu, un parasite de la société, vous êtes la honte.
Au secours, Président !
Je suis un homme de trente deux ans, fils d’ouvrier : je vote à gauche évidemment. J’ai commencé à travailler à l’âge de seize ans et demi (après la classe de troisième). Et puis un jour (juillet 88), mon patron a estimé que je n’étais plus à la hauteur ; et me voilà jeté aux ordures comme un vulgaire chiffon. Et même le conseil des prud’hommes n’y fera rien. Tout ce que j’avais investi dans mon travail ma vie, ma volonté, mes passions, mes joies, mes ambitions, mes projets, mon avenir, tout cela effacé d’un seul coup !
II ne me restait que mes deux yeux pour pleurer, car j’ai pleuré, Monsieur le Président ! Alors que faire ? Que faire après m’être culpabilisé, replié sur moimême ? Que faire après ces moments de déprime, ces idées de suicide, ces moments d’angoisse et même de folie parfois ? Que faire après toutes ces vaines recherches en quête d’un emploi ?
Redevenir actif ! Redevenir actif tout en vivant dans un monde inactif  ? Je m’inscris dans une association de chômeurs appelée ASTRE (Association Sarthoise des Travailleurs en Recherche d’Emploi). Vous remarquerez que par pudeur cette association n’est pas une association de chômeurs, mais de travailleurs en recherche d’emploi. Mais quelle importance, nous y rencontrons des "chômeurs".
Et là, par l’intermédiaire de cette association, je comprends tant de choses. Je rencontre tant de gens désespérés  : les TUC, les PIL, les CRA, les SMAN, les CLES. Et puis les SDF (sans domicile fixe), des gens (hommes et femmes) qui dorment dehors, sous un pont, sur un banc. Des gens qui refusent encore de manger au "resto du coeur", parce qu’une infime parcelle de fierté et d’homme brille encore en leur âme. Ces gens-là n’ont plus de fierté, d’honneur, ils n’ont plus aucun espoir. Ces gens-là ne vivent pas seulement au jour le jour ! Non, c’est au fil des minutes qu’ils vivent, je devrais dire qu’ils survivent. Car ils n’ont même plus le courage de chercher du travail, ils refusent les foyers d’hébergement, tant ils ont perdu le sens de la vie en collectivité.
Au secours, Président !
Toutes ces choses je les vois, je les vis tous les jours dans la ville du Mans où j’habite. Une ville de 150.000 habitants. Et partout en France, c’est la même chose. Des centaines de milliers de vies se meurent chaque jour dans notre pays, Monsieur le Président.
Au secours, Président !
Alors je me dis : "Et Dieu dans tout cela ? que fait-il ?" Le Seigneur n’y est pour rien. Et vous le savez autant que moi, Monsieur Mitterrand. Ce sont les hommes eux-mêmes qui avilissent d’autres hommes. C’est donc aux hommes et non à Dieu d’agir pour qu’il n’y ait plus ces choses atroces dans le monde mais aussi à deux pas de chez vous, Monsieur le Président.
Je vous écris cette lettre, Monsieur le Président, car aujourd’hui je suis en prolongation d’allocation de base, soit 3.200 F. par mois, ma femme et moi. Dans trois mois, si je suis toujours dans la même situation, nous vivrons avec 2.200 F. Et puis dans 15 ou 16 mois je serai âgé de 33 ans et si je n’ai toujours pas de travail, nous devrons nous débrouiller avec ce qu’on appelle le RMI. Comme des milliers de gens, je serai descendu contre mon gré au fond du trou. Ce trou que les gens qui ont une situation stable ignorent et refusent d’entrapercevoir. Par crainte ? ou par lâcheté ? Allez savoir !
Monsieur le Président, cette lettre que je vous adresse, j’aurais pu par humour l’intituler : "Lettre au Président". Seulement, l’heure n’est plus à rire. Je l’intitulerai donc : "Au secours, au secours, Président !".
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République française, l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Hervé Bouché, 20, rue d’Allemagne,
72100 Le Mans


Réponse de l’Elysée

Présidence de la République,
le 1er mars 1990

Monsieur,
Croyez bien que le Chef de l’Etat est particulièrement attentif aux préoccupations de ses concitoyens. Aussi, ai-je confié l’étude de votre problème au Préfet du département de la Sarthe en lui demandant de l’examiner avec soin et de rechercher les solutions susceptibles d’y être apportées.

Michel Jau (Chargé de mission)

Réponse de la Préfecture

le 9 mars 1990

Monsieur,
La Présidence de la République vient de m’adresser votre lettre du 26 février dans laquelle vous exposez votre situation au regard de l’emploi. Je vous conseille de prendre contact avec l’Agence locale pour l’Emploi la plus proche de votre domicile afin d’y rencontrer un prospecteur-placier qui vous orientera dans vos recherches.
pour le Préfet, le secrétaire général.

On comprend qu’Hervé ait été furieux de cette réponse

(extrait de "Cultures et Foi" n° 136, transmis par C. Tourne)