Lu, vu, entendu
Publication : octobre 1990
Mise en ligne : 7 avril 2008
Entrevu à l’Est
Nous avons eu la chance qu’un congrès scientifique nous offre
un séjour à Prague début septembre. Le monde entier,
ou presque, s’y était apparemment donné rendezvous. D’abord
pour voir. Et puis, m’ont confié deux étudiants danois,
parce qu’on y vit pour pas cher. II est vrai que la nourriture (qui
n’est pas fameuse) y coûte quatre fois moins cher qu’en France.
Alors les rues sont très animées, et des chanteurs, des
musiciens, des "montreurs" viennent de partout, même
de Beaubourg, gagner leur vie en distrayant les touristes. Les Praguois
ne se lassent pas de ces spectacles des rues, sans doute nouveaux pour
eux.
Mais ils font en même temps d’autres découvertes. Celle
de bandes de skinheads, par exemple, à qui la croix gammée
ne fait pas peur. Et celle de délinquants, alors qu’ils n’imaginaient
pas qu’on puisse attaquer quelqu’un, dans la rue, pour lui dérober
son portefeuille ! Un de nos collègues est témoin que
cela se produit désormais à Prague comme à Paris.
II est vrai, m’a expliqué une Praguoise, que l’amnistie de V.
Havel a libéré bien des voleurs. Libéralisme oblige.
Mais cela n’a pas entamé l’enthousiasme qu’elie porte au Premier
Ministre, récemment élu. Comme la plupart des Tchèques,
elle attend, sans la moindre initiative, que de nouvelles lois leur
donnent les directives nécessaires... pour changer leur économie.
L’inertie des Tchèques nous a semblé très incrustée.
En Allemagne ex-Est, si l’activité nous a semblé plus
forte, en revanche l’enthousiasme faisait défaut. Pour l’immense
majorité des travailleurs, l’avenir est terriblement sombre ;
le chômage fait des ravages et les prix montent en flèche.
Les salaires ne suivent pas, mais comment protester quand on sait que
les entreprises qui ne ferment pas sont rachetées et que la plupart
de leurs anciens travailleurs seront licenciés ? Comment fera-ton
pour payer demain des loyers alignés sur les prix de l’Ouest,
alors que depuis quarante ans, on payait invariablement un mark le mètre
carré ? certes, les immeubles reconstruits après la guerre
sont d’énormes blocs, des "cages à lapins".
Mais un deuxpièces y occupe 60 m2 et un loyer de 60 marks ne
grevait pas les revenus d’un jeune couple. II n’y avait pas un "sans
domicile fixe" en RDA qui découvre la mendicité.
La médecine y était entièrement gratuite, alors
que les cliniques et les crèches ferment leurs portes : il n’y
a plus de quoi les entretenir...
Devant cette angoisse du lendemain, comment s’étonner que des
retraités citent tel et tel ami qui, incapables de supporter
le choc, ont mis fin à leurs jours ?
M-L D. et J-P M.
***
Aggravation des inégalités dans les pays
industrialisés.
L’Evénement du Jeudi des 2-8 août 1990 publie une étude
sur l’évolution des inégalités au cours de la dernière
décennie et constate qu’elles se sont aggravées dans presque
tous les pays industrialisés.
Le phénomène est particulièrement marqué
au Japon, où le fossé entre riches et pauvres s’est considérablement
élargi, bien plus encore qu’en France. De plus les salariés
les plus qualifiés sont favorisés, et "leurs rémunérations
progressent bien plus rapidement que celles des catégories du
bas de l’échelle." La société britannique
est l’une des plus inégalitaires d’Europe. "Le nombre des
nécessiteux (moins de 2.000 F. mensuels) a plus que doublé
depuis 1979. La GrandeBretagne compte désormais 10,5 millions
d’économiquement faibles, contre 4,8 au début de l’ère
Thatcher. II y a 400.000 sans abri (dont 40.000 à Londres) et
encore 2 millions de chômeurs. Quant au Welfare State, le système
de protection sociale mis en place depuis 1945 par les travaillistes,
il est en plein déclin, faute de subventions." Aux Etats-Unis,
"grâce à l’augmentation des profits dégagés
sur les placements financiers et immobiliers, mais aussi à des
salaires mirobolants indexés, pour les plus gros postes, sur
les bénéfices des entreprises, les 1 °/ d Américains
les plus riches s’octroient aujourd’hui 12,6 % des revenus perçus
par l’ensemble de la population. Deux fois plus qu’il n’y a dix ans.
Les 40 % des ménages les plus pauvres doivent désormais
se contenter de 14 °/ de l’ensemble des revenus. En 1980, un ménage
appartenant à la catégorie des 20% lesd plus pauvres,
gagnait en moyenne 7.350 dollars par an après impôt. Aujourd’hui,
déduction faite de l’inflation, le même ménage doit
se contenter de 6.973 dollars. Perte de pouvoir d’achat : plus de 5%...
Pendant le même temps, les 20 % les plus aisés ont vu leurs
revenus progresser de 32 %, pour dépasser en moyenne les 78.000
dollars annuels."
En RFA, on ne peut ignorer "les laisséspour-compte du miracle
économique, de plus en plus nombreux. Aujourd’hui, selon les
Eglises, l’Allemagne de l’Ouest compterait six millions de pauvres.
Un million d’entre eux sont sans domicile fixe (...). Officiellement,
trois millions d’individus (soit un sur vingt) bénéficient
de l’aide sociale. L’expansion durable, la stabilité des prix
et la création en six ans de plus d’un million d’emplois n’ont
nullement empêché la persistance d’un chômage qui
frappe deux millions de personnes". Et la réunification
ne fera qu’accroître les inégalités.
Le constat est bien moins pessimiste en ce qui concerne l’Italie, où
les inégalités "ne se sont pas globalement renforcées"
au cours de cette même période. "En 1980, 46 °/
des ménages gagnaient moins de 20 millions de lires (100000 F
environ ) par an.
Aujourd’hui ils ne sont plus que 39 % dans cette catégorie. Dans
le même temps, les 12 °/ qui, il y a dix ans, dépassaient
40 millions de lires de revenus annuels, sont à présent
20 %". Mais entre 1980 et 1989 "L’écart entre le Nord
et le Sud ne’ s’est nullement réduit. Le
chômage méridional atteint en moyenne les 20 %, alors que
les régions septentrionales bénéficient quasiment
du plein emploi."
Ce que l’article de l’Evénément ne souligne pas, c’est
le caractère paradoxal de ces inégalités dans un
monde où le bien-être généralisé n’est
utopique que par suite du maintien d’un système périmé.
(transmis par P. Herdner)
***
Quelle signification donner au déficit du régime
général de la Sécurité Sociale ?
Le mensuel "Problèmes économiques" (1) édité
par la très officielle "Documentation française"
reproduit sous ce titre un article de la revue "Economie et prévision"
du Ministère de l’Economie des Finances et du Budget. L’auteur,
Dominique Lamiet, haut fonctionnaire à la Direction de la prévision
de ce ministère, examine les comptes de la Sécu à
travers l’exemple de l’année 1987. Partant de la prévision,
en avril 1986, de 40 MF, il indique que le. déficit du solde
comptable se réduisit en réalité à 1,4 MF
en fin d’exercice.
II est exact que des raisons techniques pas toujours imprévisibles
contrairement à ce qu’affirme Lamiet, expliquent, en partie,
une telle différence. II est vrai aussi que des mesures gouvernementales
sont intervenues au second semestre 1986 et en 1987 dont l’effet n’a
pas été négligeable. L’étude se termine
ainsi : ".. En conclusion, on remarquera toutefois qu’en dépit
des discours alarmistes qui peuvent être véhiculés
par les media à l’occasion de l’annonce des déficits prévisionnels,
ceux-ci ne représentent approximativement que 1 % de l’ensemble
des dépenses...".
C’est exact, et peu d’entreprises privées ou publiques, petites
ou grosses, sont capables d’évaluer leur budget à 1 %
près.. il faut en donner acte aux responsables de la Sécu.
II faut aussi stigmatiser l’attitude des journalistes de la presse dite
"populaire" toujours prompts à dénoncer le "trou"
et même le "gouffre" du régime général
qui se réduit en définitive ; sans qu’ils le disent, à
un trou d’épingle.
C’est que dans certains milieux, notamment financiers
et dans les assurances privées, l’existence même du régime
de sécurité sociale n’a jamais été vraiment
acceptée et les retraites par répartition sont périodiquement
remises en cause. La presse entretient donc, année après
année, le mythe d’un déficit chronique.
Mais le ministre des Finances et le Gouvernement ne sont-ils pas également
fautifs en la matière ? N’ontils pas intérêt eux
aussi à affoler l’opinion afin de mieux justifier des mesures
de redressement toujours impopulaires ?
Quant à la vraie solution, elle est simple, il suffirait que
les gestionnaires sociaux soient autorisés à placer une
partie de leurs fonds de roulement, même en bons du Trésor,
pour que toutes les insuffisances soient à jamais épongées.
(transmis par René Martin)
(1) n° 2188 du 29 août 1990
***
A propos des retraites
"Sud-Ouest" du 24 juillet 1990 publie un article intitulé
"Sombres perspectives" dont nous extrayons les passages suivants
"De mieux connu et analysé, le problème du financement
des retraites à moyen et long termes réclame à
présent une solution urgente, selon les spécialistes de
l’INSEE, qui estiment dans la revue "Économie et Statistique"
d’aujourd’hui que "7a pire des choses est d’attendre que le temps
passe" .
... L’urgence des réformes s’explique par un constat : le taux
de dépendance c’est-à-dire le rapport entre les inactifs
de plus de 59 ans et les cotisants - était de 42,4 % en 1985,
soit environ 2,5 actifs par retraité. Dans le cas le plus défavorable,
il y aura un actif par retraité en 2040, et dans le cas le plus
favorable, trois actifs pour deux retraités. Grosso modo, le
poids du financement des retraites, pour chacun des actifs, devrait
doubler ...
... Mais quelles réformes mettre en place ? Le système
de retraite par répartition n’offre que trois issues, dont aucune
n’est facile à envisager, autant d’un point de vue économique
que social : soit élever nettement les cotisations des actifs,
soit diminuer la valeur des prestations servies, soit relever l’âge
de la retraite. "Mais dans tous les cas, même en se donnant
des objectifs contraignants en termes de parité de niveau de
vie entre actifs et retraités, le choc démographique est
tel qu’on n’échappera pas à une hausse significative des
cotisations", analysent les experts de l’INSEE. Celle-ci se heurtera
à la fois à la résistance des salariés et
à des contraintes de compétitivité.
Cocktail de mesures
Une autre voie permet de sortir, en partie du moins,
de ce triangle maudit : la capitalisation, déjà amorcée
en France, mais pas encore généralisée. Plutôt
que le pouvoir d’achat des salariés soit transféré
aux retraités, par le biais des cotisations, il s’agit pour chaque
salarié de transférer son propre pouvoir d’achat dans
le temps, en épargnant en vue de la retraite. Les économistes
voient un autre avantage à la capitalisation : contribuer au financement
des investissements - puisqu’il s’agit d’épargne - et ainsi accélérer
la croissance.
"C’est tout un cocktail de mesures qu’il faut prendre" notent
les experts de l’INSEE .... L’enjeu est énorme : les transferts
de retraite s’élèvent aujourd’hui à 647 milliards
de francs, soit près de 11,5% du produit intérieur brut".
Le Monde du 26 juillet 1990 fait état des réaction
suivantes :
"Le diagnostic alarmiste de lINSEE sur l’avenir des retraites continue
de provoquer des réactions. Les syndicats CGT et CFDT de l’INSEE
estiment, dans un communiqué commun, que "le dossier sur
les retraites représente un pas supplémentaire dans la
dégradation de l’indépendance et de crédibilité
de l’INSEE" . Notant qu’aucun article ne vient de l’institut national,
et que le coordinateur, M. Denis Kessler, est le futur président
de la fédération française des sociétés
d’assurance, les deux syndicats affirment que l’INSEE accorde sa "caution
scientifique" à `des prises de position politiques venant
de l’extérieur’ ; "en l’absence de pluralisme méthodologique"
qui ne pouvaient qu’aboutir à "l’apologie des régimes
par capitalisation". La confédération CGC parle,
elle aussi, d’une "attaque orientée et intéressée"
et considère que "la volonté de dramatisation est
évidente". L’ARRCO, qui regroupe les caisses de retraite
complémentaire des salariés, réplique qu’il "n’est
pas nécessaire d’alarmer à ce sujet les retraités
et futurs retraités" et ajoute que "les facteurs économiques
sont au moins aussi importants" que les projections démographiques.
D’autre part, le bureau exécutif du Parti socialiste a vivement
réagi le 25 juillet : "Face aux conclusions d’un rapport
attribué à l’INSEE, mais en réalité rédigé
par un professionnel de l’assurance-capitalisation, le PS rappelle son
attachement au principe de répartition. On essaie d’inquiéter
la population pour vendre de l’assurancevie avec une présentation
pseudoéconomiste. Cette tentative n’est pas nouvelle" a
commenté Jean-Claude Boulard, secrétaire national aux
affaires sociales."
(transmis par G. Capeyron)
NDLR Nous répétons qu’en dehors de l’action psychologique en faveur des retraites par capitalisation, l’inquiétude distillée à propos des retraites après l’an 2000 procède d’une vue purement financière de la situation. La réalité c’est qu’une production en augmentation quasiconstante devrait assurer normalement le maintien et même l’amélioration du pouvoir d’achat des actuels et futurs retraités.