La guerre du Golfe
par
Publication : octobre 1990
Mise en ligne : 7 avril 2008
1500 km². Grossièrement, un carré
fait essentiellement de sable, mais qui recouvre 60 % des réserves
de pétrole connues. Cela suffit pour expliquer la fantastique
mobilisation militaire à laquelle nous avons assisté dans
"le Golfe" après l’invasion du Koweit par Saddam Hussein.
Avant tout, une mobilisation américaine sans précédent
depuis la guerre du Vietnam.
Comme toujours, la préparation de la Grande Relève, faite
de bénévolat, nous contraint à écrire nos
articles un mois à l’avance. Comment auront évolué
les événements d’ici Octobre ? Nul ne peut le prévoir.
Mais ce à quoi nous avons assisté depuis le début
de la crise suffit à notre propos qui a pour but de dénoncer
les méfaits du capitalisme, ce qui est une donnée fondamentale
du socialisme distributif.
Bien entendu, vis-à-vis de Saddam Hussein, notre position, notre
jugement sont sans ambiguité. Nous n’avons pas attendu - comme
les bons apôtres du monde du profit qu’il retienne des innocents
en otages, sur des sites stratégiques, pour dénoncer celui
qui est devenu le "boucher", le "satan", le "rat
grassouillet"... pour les laudateurs d’hier. Ce n’est pas du bout
des lèvres, pour la forme, que nous avons jugé comme un
monstre, celui qui, il y a peu, employait les gaz contre les Iraniens
ou ses propres populations Kurdes.
Avez-vous remarqué l’embarras - à moins que ce ne soit
le cynisme des Bérégovoy et Mitterrand (1) interrogés
en septembre par des journalistes sur notre soutien, nos ventes d’armes
à l’Irak pendant deux décennies, mais surtout pendant
la guerre Iran-Irak : plus de 70 milliards, le tiers de nos exportations
d’armes ? A noter que tous les mobilisés du Golfe ont fait de
même. Ils font semblant d’oublier.
Devant la situation alarmante de nos ventes d’armes, consécutive
à la détente Est-Ouest, Chevènement n’était-il
pas allé, quelque trois mois avant les évènements,
rendre visite à Saddam pour relancer nos ventes d’armes (bien
qu’il nous doive encore 25 milliards). Le Canard Enchainé a reproduit
une intéressante interview de notre Ministre de la Défense
dans l’hebdomadaire irakien "Alef-Ba" : "Saddam Hussein
est un dirigeant courageux et aimé et il a une vision globale
et à long terme ainsi qu’une connaissance précise des
événements qui se déroulent dans le monde. Le Président
Saddam Hussein a une pensée claire et intéressante, qui
le qualifie pour diriger son peuple vers la paix et la construction
de son pays en dépit des défis et des difficultés
auxquels il a été confronté pendant la guerre avec
l’Iran".
Bref, celui que Chirac lui aussi admirait en l’appelant "mon ami
personnel" est devenu soudain l’homme à abattre, celui par
qui l’ordre du monde est troublé parce qu’il a envahi et annexé
le Koweit.
Bien entendu, l’Occident - et ses acolytes locaux, émirs et rois
du pétrole - se drapent dans la défense du droit international
et des droits de l’Homme. Les Etats-Unis par contre peuvent envahir
le Vietnam - et le détruire -, la Grenade, le Panama, bombarder
la Lybie, mouiller des mines dans les ports du Nicaragua, ce qui constitue
un acte de guerre ; Israel peut envahir le Liban, bombarder la Tunisie,
l’URSS envahir l’Afga-nistan, etc.. sans qu’il y ait atteinte à
ces mêmes droits ? "Selon que vous serez puissants ou misérables,
les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs" disait le
sage La Fontaine.
Le monde est-il devenu aveugle ou fou ? (2) L’attitude des nantis s’explique.
Pas celle des 70 ou 80% de salariés, dont 50 % au niveau du SMIG,
qui sont les exploités de ces nantis. Tandis que les pétroliers
profitent de la situation pour s’enrichir sans vergogne (alors qu’on
a quatre mois de stock et que les autorités affirment qu’on peut
compenser les pertes momentanées irako-koweitiennes), il est
cocasse d’apprendre par un sondage que 70 % des Français sont
prêts à payer leur tribut à la rigueur, si c’est
le prix que réclame la "défense du droit international".
Peu de gens retiennent ou comprennent - les leçons de l’histoire.
L’occasion était belle, notamment pour les Etats-Unis et l’Angleterre,
de se réinstaller militairement pour deux ans au moins avouentils-
dans des pays qu’ils avaient dû quitter sous la poussée
indépendantiste des années 50-60 dans tous les pays assujettis
ou colonisés ; bien sûr, ils avaient mis ou laissé
en place leurs émirs de paille qui se sont scandaleusement enrichis
au point de financer ou d’acheter les biens de leurs anciens "protecteurs".
Et d’ores et déjà, la production d’armement, menacée
par la détente Est-Ouest, reprend. Le Monde du 24 août
signale que "Washington accroit ses ventes d’armes aux pays du
Golfe". On s’en serait douté !
II faut appeler un chat un chat :
1. Tout le monde a aidé l’Irak dans la guerre qu’il avait déclarée
à l’Iran (curieux : on se souvient enfin en 1990 que c’est le
"dictateur" de Bagdad qui avait déclenché la
guerre et non l’inverse comme on avait tendance à le laisser
croire)
- pour vendre des armes et expérimenter certaines d’entre elles
à échelle réelle (tanks, missiles, gaz), pour barrer
la route à l’Islamisme intégriste (mais l’élève
Saddam est devenu dangereux : armes chimiques, fusées à
très longue portée, arme nucléaire peut-être).
2. Le droit international est un prétexte fallacieux mais qui
"prend" sur les opinions :
- d’une part, ce "droit" ne recouvre que de sordides intérêts
pétroliers ; le seul "mérite" que l’on puisse
reconnaitre à Bush, c’est qu’il a annoncé la couleur au
départ "défense des intérêts vitaux
des Etats-Unis" . N’oublions pas que les Etats-Unis, qui ne représentent
que 5 % de la population mondiale, consomment 30 % de l’énergie.
D’autre part, il faut protéger les émirs et monarques du pétrole pour faire barrage aux révoltes éventuelles de leurs sujets qui vivent souvent dans une misère qui côtoie un luxe insolent (3). Pendant que les Américains commençaient à débarquer en Arabie Saoudite, on apprenait qu’un prince saoudien (mais quelle discrétion de la presse à ce sujet depuis lors !) avait perdu, en une nuit, dans les casinos de la Côte d’Azur, trois milliards de centimes. Bah, quelques barils d’or noir ! Vraiment noir.
(1) Bérégovoy tente de justifier l’action
du Gouvernement "Nous avons respecté les engagements de
la France". Pourtant le PS a dénoncé "cette
politique mercantile irresponsable" mais
c’était le 29 octobre 1980... Bérégovoy fait aujourd’hui
partie des faucons qui ont baptisé avec dérision "néo
tiersmondistes" ceux de leurs collègues du PS qui préfèrent
la négociation à la force et mettent en avant la misère
des populations arabes.
Quant à Rocard, le 20 août, il estimait que les "télévisions
font une place disproportionnée aux manifestations antiaméricaines
de Jordanie". Le Monde 23 août.
(2) Hussein de Jordanie, dont la situation est dangereuse, a eu ce cri
de sagesse "Nous sommes pratiquement arrivés au type de
crise d’un monde devenu fou. 11 faut chercher à éviter
le type d’explosion qui peut facilement se produire par calcul ou erreur
de calcul et qui aurait un effet dévastateur sur la région
et le monde" :
(3) Enquête sur les plus grosses fortunes du magazine US Fortune
: "Le Sultan de Brunei (25 milliards de dollars) et le roi Fahd
d Arabie Saoudite (18 milliards) sont les deux hommes les plus riches
du monde, grâce au pétrole".