Seule la vérité blesse

Lectures
par  H. MULLER
Publication : octobre 1987
Mise en ligne : 1er avril 2008

Henri Muller analyse ci-dessous le livre qu’André Giresse a écriten collaboration avec Philippe Bernet

LE livre du Président GIRESSE lance un lourd pavé dans le milieu des gens de justice peu habitués à voir la vérité sortir du puits lorsque le pouvoir politique en tient solidement le couvercle. Il nous livre les arcanes d’un monde clos, celui de la haute magistrature avec ses intrigues de cour, son indépendance souvent de façade, à l’égard de l’autorité politique soucieuse d’"écraser" certaines affaires jugées compromettantes.

D’un socialisme modéré auquel il s’était rallié, A. GIRESSE espérait une réforme qui arracherait la magistrature à la sujétion politique. Mais l’irruption d’un extrémisme gauchiste, les "imprécations des soixante-huitards attardés, libertaires, anarchistes, clamant leur haine pour la société bourgeoise", allaient dissiper ses illusions. Des escouades de Rousseauistes, juges et avocats, tendent à faire des inculpés, des victimes de la société, de ses injustices, de ses tares.
Respectueux de l’ordre établi, conscient que sa mission consiste à le protéger des trublions, il exprima son amertume à l’égard d’un "délabrement judiciaire", du "laxisme pénitentiaire". "Plus de peine capitale, écrit-il, plus de peine carcérale vraiment subie et redoutée. Face au crime, l’arsenal de la loi se vide et laisse sans défense le citoyen et la société". Idéologue déçu, il s’isole. Sa passion : la justice, l’honneur, la vérité. Seul dans son combat, aux prises avec une hiérarchie qui, l’ayant renié, le persécute, lui tend des pièges. Un homme de tradition, d’un autre temps. Le combat d’un Don Quichotte.
Exposée sous tous ses aspects, expliquée et commentée en quelque 120 pages, l’affaire De Broglie qualifiée par le Président Giresse de "Watergate français", constitue le morceau de résistance, le point fort de l’ouvrage. Est-ce le livre de Jésus Infante, publié peu avant l’ouverture du procès (2) qui lui en a fait saisir la dimension politique ? On connaît la thèse les détournements de fonds opérés par la Sté Matesa, au préjudice du Trésor espagnol, auraient servi à financer, via la SODETEC, une société luxembourgeoise dirigée par J. de Broglie, une entreprise électorale française. Il semblerait que le Président Giresse n’en ait pris connaissance qu’après la clôture du procès. Alors que J. Infante construit son scénario autour de l’affaire de la MATESA, livrant d’un seul coup le dessin du puzzle avec tous ses personnages, A. Giresse procède à l’inverse, s’efforçant d’en assembler les pièces qu’on lui livre au compte-goutte dans des rapports incomplets et au cours des audiences. Son intuition lui fait dire que les témoins ont menti, que des faits lui ont été dissimulés. Il constate que l’on a saboté l’enquête, placé des verrous pour éviter qu’elle ne dérive, qu’elle mette en cause une police politique, des polices parallèles dont il subodore le rôle dans la préparation de l’assassinat du Prince. Et le procès se clôt sans qu’aient été entendus les témoignagesclés, susceptibles, selon le Président Giresse, de changer le sens de l’instruction, de lever le voile sur les étranges moeurs de la haute politique.
Tombé en disgrâce, lâché par ses amis et collègues, livré aux cabales, A. Giresse choisit de se retirer, privant ses adversaires de l’allégresse attendue d’un hallali. Sa plume ne les épargnera pas.
"Ce livre qui, écrit-il, est mon testament judiciaire, ne heurtera que les sots et les hypocrites... Ces choses-là devaient être dites. Je m’attends à d’autres combats. J’y suis prêt".
Face à la meute, son courage frise la témérité. Bonne chance tout de même, et que le meilleur l’emporte.

(1) en collaboration avec Philippe Bernet (Pion Ed. juin 1987)
(2) "Un crime sous Giscard" (F. Maspera ED. 3e trimestre 1981).