Zaitech contre Hightech


par  M.-L. DUBOIN
Publication : octobre 1987
Mise en ligne : 1er avril 2008

Savez-vous combien il faut aujourd’hui de Japonais pour fabriquer une automobile ?" "Il en faut quatre : un pour dessiner la voiture, un autre pour la construire... et deux pour spéculer sur la Bourse de Tokyo".
Ceci est la dernière histoire non pas belge mais japonaise, et elle serait bien bonne si elle ne se rapportait pas au plus beau gâchis de tous les temps : dans les pays dits civilisés on consacre aujourd’hui autant de temps (et autant d’ingéniosité) à spéculer sur les marchés financiers (le mot zaitech est fait de zai qui désigne la finance en japonais) qu’à produire les biens dont les gens ont besoin - ces biens qui se fabriquent si facilement maintenant, grâce à la haute technologie (high tech), qu’il est à la portée de l’humanité de nourrir tout son monde, voire même d’assurer le bien-être matériel pour tous. Ce gâchis de matière grise fait qu’on dépense ainsi bien plus d’ingéniosité à chercher à faire de l’argent avec de l’argent, à jongler avec des chiffres en mettant à profit les immenses moyens informatiques récemment mis au service des marchés financiers, qu’à tout simplement chercher à organiser l’économie en fonction des besoins !
Le résultat est inquiétant. Car l’emballement des marchés financiers, la flambée des cours des Bourses qui résultent de cette frénésie spéculative, apparemment sans limite depuis les déréglementations, mais qui ne traduisent pas, loin de là, une saine croissance de l’économie, rappellent à certains l’euphorie qui précéda le krach de 1929.
A cette époque, J. Duboin cria : "Nous faisons fausse route" (1) ! Mais son analyse de "Ce qu’on appelle la crise" (2) ne fut pas prise au sérieux, pas plus que son avertissement sur "La Grande Révolution qui vient" (2) et de "La Grande Relève des Hommes par la Science" (3) qu’elle entraînait.
Il eut raison "trop tôt" lui-a-t-on reproché. Cinquante ans plus tard, les distributistes s’efforcent encore d’"ouvrir les yeux" de leurs contemporains avant qu’il ne soit trop tard  !
Mais c’est là une bien rude tâche lorsqu’on n’a pas un large accès aux différents média, qui ne sont ouverts qu’aux "vedettes" de toutes espèces. Ainsi avons-nous pu voir il y a quinze jours la désormais classique (mais consternante par son analyse) émission "l’Enjeu" consacrée à "la crise". En guise de conclusion, sa suffisance de Closets interviewait Jacques Delors et Valéry Giscard d’Estaing. A les entendre, tous nos maux viennent des divers déficits américains. Mais, disent-ils, "les Etats-Unis sont une grande nation et il est indispensable qu’ils ne prennent pas rapidement les mesures adéquates pour réduire leurs déficits !"
Comme quoi les grands hommes politiques peuvent être de grands naïfs : ils ont tout simplement oublié de se demander pourquoi les Etats-Unis avaient intérêt à réduire leurs déficits tant que le dollar reste la monnaie universellement acceptée pour tous les échanges.

(1) Titre publié en 1931 aux Editions des Portiques
(2) Publié en 1934 aux Editions Nouvelles
(3) Publié en 1932 chez Fustier