Disciples scandinaves du D.A.T. qui s’ignorent
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Publication : 25 avril 1939
Mise en ligne : 28 mars 2008
Pour administrer la preuve du bien- fondé de leurs théories, les économistes sont gens assez mal partagés. Alors que leurs collègues ès sciences plus ou moins exactes ont la faculté de répéter à loisir leurs experiences, il est interdit aux économistes de pratiquer l’économie in vitro. Quant aux expériences économiques qui se poursuivent actuellement sous le signe de la contrainte politique... et policière, qu’il nous soit permis, sans préjuger de leurs résultats finaux, de demander à connaître le point de vue des « expérimentés » avant d’émettre un jugement sur leur valeur et leurs mérites. On n’a malheureusement pas l’habitude de demander l’avis du cobaye avant de lui injecter le sérum dont il doit mourir.
Ceci dit, il nous paraît qu’il faut chercher ailleurs que dans l’expérience forcée la preuve de la valeur actuelle de certaines théories économiques. A ce point de vue, la rencontre d’esprits sincères venant d’horizons très divers, travaillant sans se connaître ou s’être concertés, dans des pays souvent très éloignés, tant par la distance que par les mœurs, me parait du plus haut intérêt.
C’est précisément cette rencontre entre les tenants de l’économie distributive groupés en France sous la bannière du D. A. T. et certains chefs travaillistes suédois que les lignes suivantes ont pour but de mettre en lumière aujourd’hui.
Ces lignes sont extraites d’un compte rendu paru, sous la signature de M. Stuart Chase, sur l’ouvrage This is Democracy, de M. Marquis W. Childs. Ce compte rendu a été publié dans le numéro de mars 1929 de la grande revue américaine The Yale Review.
EXTRAIT DU COMPTE RENDU paru dans The Yale Review n° mars 1939 sur l’ouvrage This is Democracy, par Marquis W. Childs, Yale University Press
« ...Ce qui m’a le plus intéressé dans cet ouvrage, c’est que certains chefs travaillistes scandinaves regardent au delà de leurs systèmes pourtant parfaits de conventions collectives vers la phase historique qui va suivre. Ils commencent à se demander si le mouvement travailliste n’est pas transitoire, simple intermède dans l’évolution des techniques. Quels avantages, se disent-ils, à faire une juste répartition du revenu national courant quand le besoin essentiel est d’augmenter à la fois la production et le revenu ?
« Pourquoi subventionner les exportations (comme on l’a fait) pour pratiquer sur les marchés étrangers un dumping des produits alimentaires quand il y a tant de gens insuffisamment nourris à l’intérieur du pays ?
« Ces hommes en viennent à être aux prises avec le paradoxe de l’abondance.
« La Suède, après une étude approfondie du régime alimentaire du pays, a commencé à subventionner d’une manière effective le marché interieur en nourrissant les enfants des écoles avec les produits laitiers qui, jusqu’à ce jour, faisaient l’objet d’un dumping sur le marche mondial. »
(Compte rendu par Stuart Chase.)
Quels enseignements tirer de ces lignes sinon qu’on n’échappe pas à l’abondance, qu’elle fait craquer les vieux cadres du profit si équitablement soit-il réparti. Bon gré mal gré, l’abondance s’impose aux hommes de bonne foi quelles que soient les opinions qu’ils professent ou la latitude sous laquelle ils vivent.
Et cependant, nous avons affaire avec la Suède à l’économie capitaliste sans doute la mieux organisée et la plus évoluée : pas de dépenses de guerre ni d’armement écrasant les finances publiques. Organisation coopérative la plus poussée qui existe. Esprit de collaboration confiante entre les patrons et les ouvriers ayant remplacé avantageusement le vieil esprit de lutte de classe [1]. Mentalité et habitudes économiques des plus favorables à une large circulation des capitaux : goût de la vie large et confortable. Pas de thésaurisation.
Néanmoins, l’abondance est là posant ses problèmes inéluctables dispensant la misère ou la richesse suivant l’esprit qui présidera à sa distribution. Le grand mérite des chefs travaillistes suédois, preuve à la fois de la perspicacité de leur esprit et de la droiture de leur caractère, sera précisément d’avoir compris qu’on ne ruse pas avec l’abondance et qu’on ne la domine qu’en s’y soumettant. Puissent certains de nos chefs syndicalistes s’inspirer de leur exemple.
Il y a en tout cas, dans les lignes citées plus haut et inspirées par l’ouvrage de Marquis W. Childs, This is Democracy (Cela, c’est la démocratie), une leçon à tirer, leçon qui doit donner encore plus de confiance aux partisans du D. A. T. C’est, et ce sera là ma conclusion, qu’il faut voir dans l’initiative des chefs travaillistes suédois non la rencontre fortuite de deux familles d’esprit, mais la concordance profonde entre la théorie et l’expérience, concordance démontrant de la façon la plus tangible l’unité économique d’un monde qui périra des mêmes erreurs ou qui se sauvera par le mêmes vérités.
[1] A Cet égard, il serait particulièrement intéressant de compulser, s’il en a été publié, les comptes rendus des entretiens de Pontigny, entretiens qui ont eu lieu en juin dernier entre les patrons suédois et certains chefs syndicalistes français. On y verrait sans doute exposé le mécanisme d’un système capitaliste, certes, mais fonctionnant dans un autre esprit que chez nous.