Pour une économie de chômage
par
Publication : octobre 1982
Mise en ligne : 28 mars 2008
IL y a quelque 15 ans, parti à la recherche d’une solution efficace
pour tous les problèmes sociaux, isolé à 10 000
km de l’Europe et sans contact depuis longtemps, avec l’évolution
pratique des questions économiques dans les pays développés,
j’ai rejoint les thèses de Jacques Duboin dont j’ignorais jusqu’au
nom. Dix ans plus tard mes réflexions prirent la forme d’un livre,
La Société Amicaliste, et ce dernier me mit en rapport
avec l’Economie Distributive.
Depuis mes principes n’ont pas varié, mais comme beaucoup de
nies amis, j’ai été amené à me demander
pourquoi cette formule. connue depuis un demi-siècle, a été
rejetée pratiquement à l’unanimité.
Par les capitalistes cela se comprend, mais pourquoi par les syndicats
dont elle atteindrait les objectifs ? Pourquoi par les défavorisés
de tous ordres, par les écrasés de la concurrence ? Pourquoi
par les chômeurs, les allocataires sociaux, les retraités,
qui sont déjà en économie distributive ? Pourquoi
par l’Etat dont elle renforcerait la puissance ?
Sans doute recule-t-on devant les bouleversements qu’entraînerait
une révolution économique de type distributif : effondrement
d e s structures capitalistes, rupture avec le Marché Commun,
désorganisation des circuits financiers et commerciaux, panique
chez les particuliers raflant les stocks par crainte de pénurie,
etc. Il n’est que-de voir les réactions aux timides mesures de
Mitterrand pour comprendre ce qui se produirait, et il n’est pas tellement
surprenant qu’une telle aventure fasse peur. Pour rassurer on n’a aucun
exemple à proposer.
Il me semble cependant qu’il serait possible de surmonter la plupart
des difficultés, sinon toutes, en adoptant un double circuit
monétaire : l’un à usage interne et l’autre réservé
aux échanges extérieurs sous la seule responsabilité
de l’Etat. Ce dernier, par le truchement d’« Offices » divers,
deviendrait seul acheteur et seul vendeur. Certes nous connaîtrions
encore pas mal de convulsions, mais les avantages seraient tels que
l’harmonie se rétablirait sans doute très vite... si seulement
on le désirait.
Ceci nous amène à ce que je crois être la raison
véritable de l’ostracisme dont est frappée !’Economie
Distributive : en fait on n’en veut pas parce qu’elle implique l’idée
d’égalité, pratique, effective, et que dans ce domaine
nous préférons nous gargariser de mots, de théories
laissant le champ libre à nos penchants individualistes Égoïstes.
En un mot comme en cent, l’égalité inscrite sur tous nos
édifices publics ne l’est pas dans nos coeurs.
Le but des syndicats est d’assurer le triomphe des intérêts
qu’ils représentent.
Le but des travailleurs indépendants est d’avoir une situation
meilleure que celle des salariés.
Le but des fonctionnaires est de s’assurer une stabilité indépendante
des fluctuations économiques.
Le but des capitalistes est d’augmenter leur capital, par tous les moyens.
Et le but de chacun est de s’assurer une position prépondérante
sur son entourage, par la richesse, l’instruction, l’éducation,
le rang social, l’intelligence, l’originalité ou n’importe quoi.
Alors, un nivellement de ce qui a toujours été perçu
comme l’élément essentiel de toutes les prépondérances
doit forcément être qualifié d’utopique.
Utopique est un mot bien commode pour dissimuler nos insuffisances,
mais comment affirmer que « n’existe pas » (c’est la signification
d’utopique) un état de choses englobant déjà près
du tiers de la population majeure de notre pays ? Que sont les allocations
diverses : familiales, chômage, retraite, etc., sinon une forme
de distributisme ? Pourquoi, alors, ne pas aménager « ce
qui existe déjà » pour réaliser une expérience
dont l’importance, non seulement nationale, mais mondiale, pourrait
être déterminante pour l’avenir de la société
tout entière ?
Sur la « Grande Relève » de janvier, j’ai lu avec
un profond intérêt l’appel de Mme M.-L. Duboin aux chômeurs
et, sur le même numéro, l’étude de André
Hunebelle sur « L’Economie de Chômage ». Il y a là
les bases d’une action susceptible d’un grand développement.
Six mois se sont écoulés, qu’estil advenu du Plan Hunebelle
et de la Commission Economique qu’il anime ? Des contacts ont-ils été
pris avec le gouvernement ? Un plan est-il en préparation ou
tout au moins à l’étude dans les administrations intéressées
? Si rien n’a encore démarré, comme je le crains, que
peut-on faire pour accélérer la concrétisation
du projet ?
Puis-je suggérer quelques mesures ?
1°) Constituer un Comité d’Etudes Economiques élargi
avec des éléments qualifiés venant de tendances
diverses, mais susceptibles de comprendre l’idée d’Economie distributive.
2°) Charger ce comité de recenser les groupements qui ont
déjà réalisé quelque chose d’approchant
ce que nous souhaitons entreprendre ; je pense aux associations de chômeurs,
aux ouvriers autogestionnaires, etc. Prendre contact avec ces groupes,
étudier leurs réalisations et leurs problèmes.
3°) Partant de ces réalisations, établir un plan pour
que soient créés, au niveau communal, des centres de travail,
autogérés, appliquant les principes distributifs. Les
produits seraient distribués dans des magasins approvisionnés
par l’ensemble des centres de production, ainsi que le prévoit
le Plan Hunebelle.
4°) Au départ un encadrement technique serait assuré
par l’Etat, relayé par la commune, le financement étant
assuré par la caisse des allocations de chômage.
5°) Au secteur « chômeurs » s’ajouterait un secteur
« retraités ». La retraite à 60 ans laisse
disponibles des centaines de milliers de personnes parfaitement capables
et souvent désireuses d’assurer une activité productrice,
pas trop contraignante, mais néanmoins importante.
6°) Dans les communes rurales chômeurs et retraités
pourraient créer des jardins et des élevages dont les
produits alimenteraient les magasins coopératifs.
7°) Le plan, mis au point, devrait être présenté
à des personnalités politiques influentes et il faudrait
intéresser au moins un parlementaire pour que le dossier soit
« suivi. ». Le fait que l’Etat doit prévoir 30 milliards
rien que pour renflouer les Assedics en 83 devrait être de nature
à faire prendre au sérieux le plan Hunebelle à
condition de le présenter sous une forme excluant tout «
angelisme » ou tout bouleversement révolutionnaire. La
révolution viendrait ultérieurement au travers du succès
obtenu par l’aménagement du secteur « chômeurs et
retraités ».
Une telle expérience, limitée à ce secteur des
chômeurs et des retraités, n’interférerait pas avec
nos engagements internationaux, mais ses répercussions internes
seraient considérables : d’abord elle résorberait assez
rapidement le chômage, puis, par le poids d’un secteur de gratuité,
elle apporterait une masse de biens de consommation sans augmenter la
masse monétaire en circulation, d’où résorption
de l’inflation. Elle serait le moyen le plus efficace, le seul moyen
peut-être susceptible d’endiguer la tendance à multiplier
les intermédiaires non productifs dont l’activité se traduit
par la scandaleuse majoration des prix entre la production et la consommation.
Des responsables politiques de gauche devraient être sensibles
à ces possibilités.
Pour moi son plus grand mérite serait d’amorcer un embryon de
cette Société Amicaliste dans laquelle se développerait,
en partant d’une structure coopérative communale, un esprit nouveau
d’entraide, de coopération, de responsabilité personnelle.