Les endormeneurs
par
Publication : octobre 1982
Mise en ligne : 28 mars 2008
PENDANT plusieurs décades, nous n’avons pas ménagé
nos critiques à l’encontre des divers gouvernements au pouvoir,
dont certains, entre la libération et l’avènement de la
IVe République, furent déjà socialistes.
Que leur reprochions-nous, et notamment à ceux qui tinrent les
rênes de 1958 au 10 mai 1981 ? Essentiellement de dépenser
beaucoup d’intelligence et de sacrifier les vraies richesses pour tenter
vainement de sauver un système économique devenu incompatible
avec les fulgurants progrès scientifiques et techniques de notre
siècle. Dans le désert, ou presque, nous avons crié
notre conviction que les réformes indispensables n’avaient rien
à voir ni avec un simple changement d’équipes, ni avec
un style politique de gouvernement, les notions de droite ou de gauche
étant devenues totalement périmées face au vrai
problème : l’instauration d’une économie des Besoins dont
Jacques DUBOIN avait conçu les principes et structures essentiels.
Depuis le 10 mai 1981, beaucoup de nos., compatriotes ont cru au changement,
ou aux miracles... Ils peuvent constater aujourd’hui que les maux économiques
fort justement reprochés au Pouvoir antérieur sont toujours
présents, sinon aggravés : chômage, inflation, austérité,
c’est, avec une partition différente et des musiciens changés,
l’éternelle ritournelle qui résonne à nos oreilles
blasées, tandis que défilent les vieux remèdes
trop connus et toujours aussi inefficaces.
Est-ce à dire que l’existence d’un pouvoir socialiste tout puissant
ne présente pour nous aucun intérêt ?
Une réponse sans nuances serait inexacte. Et s’il est bien vrai
qu’aucun indice ne laisse supposer de la part du gouvernement la moindre
intention de songer à !’Economie des Besoins, il n’est pas inutile
de souligner les aspects négatifs et positifs de l’expérience
actuelle.
Un espoir démobilisateur
Sous la coupe de dirigeants auxquels collait une étiquette conservatrice,
tous les laissés pour compte de l’économie de marché
savaient au moins à quoi s’en tenir. Persuadés d’être
les victimes d’un système dont ils constataient les incohérences,
sans d’ailleurs en déterminer clairement les causes, ils étaient
éveillés, prêts à combattre, et à
accueillir favorablement toute tentative susceptible de sortir les économies
modernes du marasme au sein duquel elles ne se débattent depuis
si longtemps que pour mieux s’y enfoncer.
Aujourd’hui, trois fois hélas, ce n’est plus le cas. Sous prétexte
que des équipes « de gauche » sont à la télé
du pays, beaucoup s’imaginent pouvoir attendre béatement la sortie
du lapin magique du chapeau. N’ayant rien compris aux véritables
causes, ils font à tort confiance à de faux remèdes.
Et pendant ce temps, tout continue à s’aggraver. Une dramatique
course de vitesse était déjà engagée entre
l’instauration de l’économie des Besoins et la montée
de périls apocalyptiques. Au moment où s’accentue la suicidaire
fuite en avant des nations industrialisées, l’expérience
actuelle constitue une pause démobilisatrice. Il devient donc
plus important que jamais d’en dénoncer l’absurdité, notamment
pour couper court aux réactions inévitables après
la constatation de son échec. Car la tentation sera grande, alors,
de faire à nouveau confiance à l’actuelle opposition,
dont il n’y aura pourtant rigoureusement rien à attendre si elle
n’inscrit pas l’économie des Besoins à son programme.
Un catalogue d’erreurs à ne pas commettre
En contrepartie, il est non moins important de bien observer le déroulement
de l’expérience pour en tirer le maximum d’enseignements sur
la conduite à suivre et les erreurs à éviter lorsque
viendra le moment de mettre le nouveau système économique
en application.
Incontestablement, pour réussir, il faudra non seulement le consen-
sus, mais l’adhésion enthousiaste de toutes les intelligences
et capacités. A cet égard, l’intolérance, la lutte
des classes, le laxisme, le nivellement par le bas, l’antiélitisme
systématique, constituent de lamentables anachronismes et des
erreurs monumentales, à supprimer dans les plus brefs délais.
L’économie des Besoins, disait Jacques Duboin, ne doit pas être
la « prise au tas » ; elle ne doit pas non plus laisser
les portes ouvertes à la criminalité et à la chienlit
; elle nécessitera beaucoup d’imagination, d’ordre et d’effort
pour produire le maximum de biens et services avec le minimum de travail
humain, d’énergies rares ; de matières premières
non inépuisables, et de dégâts pour l’environnement.
Elle s’accomoderait très mal de la triste mentalité d’assisté
et de combinard, actuellement en plein essor. Vouloir le plus de bien-
être et de confort possibles en laissant délibérément
aux autres les initiatives créatrices et leurs inévitables
sujétions serait le meilleur moyen de ruiner pour longtemps la
crédibilité de nos thèses. Or, quelles que soient
les lourdes responsabilités de l’actuel système économique
dans l’effondrement des valeurs morales, il faut bien en prendre acte
et en tirer les conclusions logiques, étant entendu que même
si nous réussissons à éliminer le grand corrupteur,
il faudra plus d’une génération pour inverser en profondeur
les mentalités dont nous assistons à l’épanouissement.
Et c’est avec les hommes tels qu’ils sont, et non tels qu’ils devraient
être, qu’il faudra réussir.
Attention à la transition
C’est pourquoi nous demandons à tous nos amis d’observer lucidement
les répercussions de l’expérience dite socialiste sur
l’évolution des moeurs, et d’en tirer les conclusions utiles.
Convaincre chacun qu’il aura beaucoup à gagner et rien d’essentiel
à perdre à l’instauration de l’économie des Besoins
constitue une tâche prioritaire. Etudier soigneusement dès
maintenant les mesures de transition à prévoir pour les
hommes d’aujourd’hui, et non pour ceux dont nous rêvons demain,
en est une autre non moins urgente. Réforme monétaire
et Revenu social seraient inopérants sans reconnaissance du vrai
sens civique et de la tolérance la plus large. Il faudra reconstituer
au plus vite dans l’ordre, l’unité du tissu social au sein duquel
les hommes pourront enfin redevenir des ASSOCIES, responsables d’une
des tâches les plus exaltantes de leur histoire.