III - Les problèmes : nouveau témoignage

LES QUESTIONS AGRICOLES
par  J. MESTRALLET
Publication : octobre 1977
Mise en ligne : 21 mars 2008

Poursuivant une série d’articles sur l’agriculture biologique, notre camarade Jean Mestrallet explique aujourd’hui comment on peut lutter contre le parasitisme.

« DE 8 à 18 ans, j’ai été en proie aux rhumatismes ; j’avais des angines toute les années  », nous dit Monsieur R..., cultivateur au Touvet (Isère). « Après quelques années d’alimentation saine et d’homéopathie, tout cela a disparu ».
Le cas s’ajoute à une liste déjà bien longue, même si l’agrobiologie ne suffit pas toujours à empêcher quelques drames.
« Maintenant les oiseaux reviennent y compris les rapaces : aigles, hiboux » (1), nous dit encore notre maraîcher.
Cela n’élimine pas toujours les attaques de parasites. Mais nous allons voir qu’il faut aborder ce problème de façon toute nouvelle.
L’agrochimie lutte contre les parasites, microbes, virus, champignons ou insectes de la manière suivante : destruction par le procédé le plus radical. Le résultat, vous le connaissez déjà  : plus on traite, plus il faut traiter. Et vous le retrouvez dans votre assiette... On appelle cela du « Progrès ». Nous, nous l’appelons un échec complet.
L’attitude de l’agrobiologiste est bien différente.
Dans l’agrochimie, le parasite ou l’agent infectieux est la cause ; dans l’agriculture biologique, c’est une cause secondaire et d’abord une conséquence : le parasite ou l’agent infectieux peut vivre longtemps « en bonne intelligence » avec la plante. Lorsqu’il attaque, c’est qu’elle est affaiblie pour une raison ou pour plusieurs :
- patrimoine génétique déficient (comme pour nous, les bipèdes) ;
- manque de certaines substances protectrices (cuivre, magnésium, etc.) ;

- excès de certaines autres substances (azote, notasse) ;
En un mot. déséquilibre minéral oui traduit souvent un déséquilibre du sol, incapable de nourrir la plante correctement (2).
Notons qu’il s’agit là des premières découvertes. II reste encore beaucoup à faire en ce domaine. Mais l’on est vraiment sur une voie de progrès, comme en témoigne la baisse générale du parasitisme et des maladies sur les exploitations biologiques.
« Alors, pourquoi ne parvient-on pas à les supprimer complètement  ? », ne manquent pas de répondre nos adversaires. «  Faut-il laisser les limaces dévorer nos légumes ? ».
C’est précisément à partir de ce problème que nous allons étudier le parasitisme aujourd’hui. Les limaces demeurent un cauchemar du jardinier. Nous-mêmes avons été victimes d’invasions massives, comme un agriculteur maraîcher du voisinage dont nous admirions les légumes l’année dernière en pleine sécheresse. Nous essayons pourtant les méthodes biologiques depuis six ans dans ce jardin et notre voisin lui-même a banni toute chimie sur ses terres depuis dix ans !
Alors, ne suffit-il pas d’incriminer l’équilibre du sol ? L’appétit des limaces resterait une cause déterminante ?
En réalité, ce n’est qu’une apparence de contradiction, car sans rejeter la thèse classique de la prolifération des mollusques, on peut très bien expliquer les dégâts par une déficience du sol. Quelques notions courantes nous le feront comprendre aisément : un bon sol n’est pas seulement un sol riche. C’est un sol où l’air et l’eau circule facilement. Pour cela, comme pour maintenir les minéraux en équilibre et surtout pour permettre leur utilisation par les plantes, il faut de l’humus en abondance ; nous l’avons déjà vu.
Les pluies diluviennes de cette année ont inondé de nombreuses exploitations, y compris celle de notre maraîcher, asphyxiant littéralement le sol. Même en l’absence d’eau stagnante, comme dans notre jardin, le sol, déjà naturellement lourd, se tasse. Si bon soit-il au départ, un sol tassé ne joue plus son rôle comme il devrait. Avec des conditions aussi draconiennes, le meilleur sol peut se trouver momentanément en difficulté.
(Rappelons au passage les caractères physiques d’un bon sol : un mélange harmonieux de sable, d’argile et de limon. L’humus corrige fortement les déséquilibres mais il vaut mieux y remédier quand on le peut).
La suite est facile à comprendre : les plantes mal nourries deviennent fragiles et la proie des mollusques ou d’autres parasites. Un sol riche en humus rétablit l’équilibre, mais entre temps l’attaque a eu lieu. C’est dans de telles conditions qu’Alvin Seifert a observé de rares attaques de parasites. Les sols sableux se comportent mieux cette année, mais certains agrobiologistes estiment qu’une invasion de limaces révèle une insuffisance de calcaire. La même observation a été faite par des jardiniers amateurs. Nous-mêmes avons stoppé l’invasion des limaces sur les pommes de terre avec du lithothamme (algue calcaire) . A vous de renouveler l’expérience.
Effectivement, les attaques restent souvent sélectives ; là aussi, nous avons pu le constater. Des choux attaqués par des limaces restent indemnes une fois repiqués. Il est vrai que nous n’avions pas ménagé le fumier (composté en surface) et l’engrais vert. Et il existe des jardins épargnés par ces rongeuses.
A ceux que nos mésaventures feraient douter des méthodes biologiques, nous dirons nue notre agriculteur, déjà cité au début de cette série d’articles pour ses rendements en blé, a de nouveau une bonne récolte. Mais tout autour beaucoup se plaignent.
Quels enseignements pouvons-nous tirer de tous ces faits ?
Tout d’abord adopter une attitude nouvelle vis-à- vis du parasitisme  : c’est un précieux baromètre. Il nous signale que dans le sol quelque chose ne va pas et que nous allons manger des légumes dévitalisés, amoindris par certaines carences. Ce n’est pas une raison pour les laisser dévorer ou les jeter à la poubelle, mais cela signifie qu’il est nécessaire de rétablir l’équilibre du sol lorsque l’invasion des parasites se prolonge. Dans ce cas, apportons un amendement tel que des algues, de la poudre de roches ou des phosphates naturels par exemple , mieux encore, augmentons la teneur en humus.
On peut aussi tirer profit de ces manifestations parasitaires en évitant de repiquer les légumes atteints lorsqu’on possède des plants en abondance, ou en les arrachant lorsqu’il faut éclaircir. Quoi qu’il en soit, le cas des choux mentionné plus haut prouve que les légumes affaiblis peuvent redevenir sains.
S’il est absolument nécessaire d’utiliser le poison (cela peut arriver pour juguler une attaque massive), procéder comme indiqué auparavant en le mettant dans des boîtes. Si l’on en manque, éviter d’en verser des kilos sur le sol. le plus possible hors des planches. L’industrie serait bienvenue de fabriquer des « rigoles » en plastique nue l’on pourrait installer dans des sillons avec des granulés dedans.
La prochaine fois, nous envisagerons le cas des arbres et de la vigne. Pour ce dernier, nous aimerions que notre camarade Jean Mateu nous dise comment les gens du Roussillon voient le problème et pourquoi

ils tiennent à sa culture.
Nous remercions aussi Pierre Guillot pour son article. Pourrait-il nous apporter quelques témoignages supplémentaires ?
Agriculture biologique, médecine naturelle, écoIogie et économie distributive peuvent s’épauler mutuellement pour aboutir à ce changement radical espéré par tous les gens qui veulent en finir avec un monde de plus en plus invivable.
En attendant, que les consommateurs réclament des produits exempts de pesticides 1 Ils n’ont que ce qu’ils demandent (ou ne demandent pas...) .

(1) On voit à quelles ahurissantes conclusions mène l’économie capitaliste : on dépense des milliards pour fabriquer des tonnes d’insecticides alors que la protection des oiseaux résoudrait le problème gratuitement !- Mais c’est justement
ce qu’il ne faut pas.
(2) Lire à ce sujet les ouvrages du R.P. Favier, d’A. Voisin et de Delbet, en vente à » Nature et Progrès » ou dans les magasins diététiques.