Le Vrai Choix
par
Publication : mai 1977
Mise en ligne : 18 mars 2008
Dans un récent article, je soulignais une fois
de plus le malentendu soigneusement entretenu depuis de nombreuses années
en France et qui consiste à lier les réformes économiques,
dont tout le monde sent l’urgente nécessité, à
telle ou telle forme politique de gouvernement.
Il faut croire que cette question est d’actualité, dans la mesure
notamment où elle peut modifier la répartition des suffrages
d’une partie du corps électoral. Ainsi que nous l’avions prévu,
les dernières élections municipales ont donné lieu
à une tentative générale de récupération
des voix des écologistes et, pressentant le danger, « l’Aurore
» du 22 février dernier disait : « Pourquoi lier
la défense de l’environnement à la destruction de la société
libérale ? ».
Ce qui constitue une autre manière de dénoncer le fameux
malentendu.
RECUPERATION
Il n’en reste pas moins que, pour les écolo-gistes, l’ennemi public n°1 est le régime du profit, le règne de l’argent au plus mauvais sens du terme. Il faudrait être en effet aveugle, ou doté d’une mauvaise foi inébranlable, pour ne pas constater que tout conflit entre la défense de la nature et des impératifs financiers se termine toujours au bénéfice de ces derniers. Nous en avons d’ailleurs cité d’innombrables exemples concrets dans ce journal. Mettre fin à cet état de fait doit donc constituer pour les écologistes l’objectif essentiel, le préalable indispensable à toute véritable amélioration de la qualité de la vie. Et c’est pourquoi compte tenu du malentendu que nous dénonçons, nous avons pu constater un report massif des suffrages écologistes sur les candidats appartenant aux partis politiques de gauche, dont le programme économique ne comporte pourtant, jusqu’à maintenant, aucune des deux réformes fondamentales nécessaires à l’instauration d’une économie des besoins, à savoir la création du revenu social et celle d’une monnaie de consommation.
UN PREMIER PAS IMPORTANT
Il va de soi que le même reproche doit être
adressé à tous les actes et programmes économiques
de l’actuel gouvernement, en dépit de quelques mesures concrètes
prises par le Président de la République pour freiner,
voire stopper, certaines des réalisations les plus nocives du
point de vue écologique, mises en oeuvre ou projetées
par ses prédécesseurs.
Afin d’essayer de me faire une opinion valable sur les intentions profondes
de M. Valéry Giscard d’Estaing en la matière, j’ai lu
attentivement l’ouvrage qu’il présente lui-même comme le
programme-cadre de son action future : Démocratie française.
On y trouve bien sûr beaucoup de déclarations d’intentions
parfaitement louables, notamment dans le chapitre intitulé «
La nouvelle croissance » qui constitue une condamnation sans équivoque
des méfaits du libéralisme sauvage « brisant les
habitudes et les sécurités et qui conduirait à
l’épuisement des ressources naturelles et à la névrose
de l’espèce ».
Et d’ajouter :
« Qu’on n’accuse pas le Président de la République
de pointillisme lorsqu’il fait arrêter la construction d’une voie
express face à Notre-Dame, établir un espace vert à
l’emplacement des Halles, protéger la Cité fleurie ou
démanteler des tours obscures et anonymes. Il essaie de donner
les signes d’une grammaire nouvelle permettant de mieux exprimer les
besoins et les préférences, d’une population étouffée
sous le béton, le papier, et l’inextricable circuit des décisions,
et qui n’arrive pas à faire entendre sa voix. »
Fort bien. Mais au plan des réformes qui nous intéressent,
et sans lesquelles il ne peut y avoir de véritable amélioration
de l’environnement, que dit le Président ? A vrai dire, je m’attendais
à un plaidoyer habile en faveur de l’actuelle économie
de marché, assaisonné d’une promesse d’interventions de
plus en plus nombreuses de l’Etat pour en fixer les grandes orientations
et en atténuer les méfaits. Et, si l’on se place dans
une perspective à court terme, c’est bien ce que propose l’ouvrage.
Par contre, j’ai trouvé à la page 59 un texte qui peut
laisser rêveur sur l’avenir à moyen terme envisagé
par le Chef de l’Etat. Parlant de la nécessité d’éliminer
la misère dans le chapitre intitulé « Vers l’Unité
par la Justice », il écrit :
« Pour lutter contre elle, on peut hésiter entre une méthode
générale et des actions particulières. La méthode
générale serait de garantir à tout Français
sans distinction un revenu minimum. Si ses ressources n’atteignent pas
ce minimum, la collectivité les complète. Cette méthode
radicale a pour elle la simplicité. Mais les esprits ne sont
pas encore mûrs pour un changement aussi profond qui entraînerait
au demeurant de lourdes charges collectives. Nous pouvons seulement
l’expérimenter. C’est ce qui va être fait dans un cas précis
: celui des veuves et des femmes isolées ayant charge d’enfant.
»
IL FAUT POURSUIVRE
Ainsi donc vous avez bien lu : voici reconnu par écrit,
et par la plus haute autorité du pays, la possibilité
de créer un jour le revenu social, premier pilier de l’économie
des besoins. Quel progrès dans le cheminement des idées
et quel encouragement à poursuivre notre action pour que tombe
la première objection soulevée par le Président
de la République : le manque de maturité des esprits !
Quant à la seconde objection, à savoir la lourdeur des
charges collectives, nous regrettons qu’il manque un tout petit adjectif,
car il s’agit de la lourdeur des charges collectives financières,
et non des charges collectives économiques réelles. Physiquement
et matériellement Parlant, la collectivité française
est en effet parfaitement capable de produire les biens de consommation
correspondant au montant global du revenu social. Seul le système
financier actuel, pour des motifs analysés en détail par
notre mouvement, s’oppose à cette réalisation. Que survienne
le second pilier de l’économie des besoins, c’est-à-dire
un système monétaire reflétant fidèlement
les réalités économiques au lieu d’en être
le carcan, et la seconde objection tombe puisqu’il devient enfin possible
de solvabiliser les besoins dans les limites des capacités productives
sans écraser quiconque.
Voilà le vrai et le seul problème. Voilà ce que
nous devons répéter et faire comprendre inlassablement
autour de nous, conscients des progrès déjà accomplis
comme de l’importance de l’effort restant à fournir. L’année
qui vient sera propice à notre action, car la préparation
des élections législatives va s’accompagner d’une ardente
confrontation d’idées éminemment favorable à l’accélération
de la maturation des esprits. Et rappelons- nous que l’enjeu va bien
au-delà d’un choix politique de société, puisqu’il
s’agit en fait de la survie de notre espèce.