Comptabilité et inflation
par
Publication : mai 1977
Mise en ligne : 18 mars 2008
Contrairement à ce que l’on pense couramment, la comptabilité n’est pas une science neutre : elle a tendance, tout au contraire, à accentuer l’inflation, comme nous allons le démontrer après avoir donné, pour les non spécialistes les définitions nécessaires :
LA COMPTABILITE MODERNE
De simple enregistrement des mouvements de caisse
et des rapports de dettes et de créances, la comptabilité
est devenue progressivement un instrument d’appréciation de l’activité
économique de l’entreprise.
Elle a maintenant pour objet de mesurer les résultats de l’activité
productive en comparant, au cours d’une période donnée,
les profits réalisés et les capitaux engagés pour
réaliser ces profits. Ceci permet en outre, aux Pouvoirs publics,
de connaître l’évolution des entreprises. Afin de disposer
de critères communs permettant d’apprécier l’activité
économique, les pays développés ont introduit des
plans comptables qui fixent des règles comptables uniformes pour
les entreprises industrielles ou commerciales d’un même secteur.
Le plan comptable général distingue :
- La comptabilité générale, qui a pour but de faire
apparaître la situation patrimoniale active et passive (bilan)
de l’entreprise et de déterminer les résultats globaux
d’exploitation (compte d’exploitation) ainsi que le résultat
net final de l’exercice (compte de pertes et profits) ;
- La comptabilité analytique d’exploitation (ou comptabilité
industrielle), qui est destinée à faire apparaître
les prix de revient et à permettre le contrôle de la rentabilité
de l’entreprise par l’examen des écarts entre les prévisions
(budget) et les réalisations.
Cette comptabilité analytique d’exploitation joue au sein de
l’entreprise un rôle sans cesse croissant. C’est elle qui permet
à l’entreprise de déterminer les prix de revient et les
prix de vente.
C’est donc elle aussi qui va jouer un rôle important dans l’évolution
de l’inflation.
LE MODE DE CALCUL DES PRIX
En effet, afin de faciliter les calculs de prix de
revient et de prix de vente, un certain nombre de méthodes simplificatrices
ont été adoptées dans les textes définissant
les règles comptables.
Ces méthodes simplificatrices font essentiellement intervenir
les notions de coefficients forfaitaires et d’unité d’oeuvre.
Les coefficients forfaitaires permettent de passer :
- dans le commerce, du prix d’achat au prix de vente ; (ils) alors prennent
le nom de marge commerciale ;
- dans l’industrie. du coût de la production aux prix de revient
et de vente (ils sont appelés dans ce cas coefficients de frais
généraux ou marge bénéficiaire).
On introduit la notion d’unité d’oeuvre pour fixer le coût
de production en n’utilisant qu’UN SEUL ELEMENT DE COUT, par exemple
celui de la maind’oeuvre, ou le temps d’emploi des machines ou encore
la quantité de matière employée...
L’utilisation de ces coefficients est sans inconvénient lorsque
les éléments de coût et les rapports entre eux demeurent
stables ; mais l’inflation s’accélère dès qu’augmente
le prix d’un élément car tout se passe comme si tous les
éléments avaient réellement subi la hausse !
Le renchérissement ainsi créé est inflationniste
puisque tous les acheteurs vont le ressentir et le répercuter
s’ils sont eux-mêmes producteurs.
LA MARGE COMMERCIALE,SOURCE D’INFLATION
Prenons à titre d’exemple le cas d’un marchand
de vêtements employant deux vendeurs. Il revend chaque année,
1 200 vêtements qui lui ont coûté 500 francs pièce
(prix d’achat annuel 600 000 francs).
Ce commerçant applique une marge commerciale de 20 %, soit 120
000 francs. Cette marge lui permet de payer ses deux employés,
par exemple 30 000 francs chacun (charges sociales comprises) et de
garder 60 000 francs pour payer ses impôts locaux. l’entretien
de son magasin et pour constituer un bénéfice proprement
dit. Sur ce bénéfice, il paie pour son usage personnel
et celui de ses employés, 6 vêtements soit 3 000 francs.
Si, maintenant, une hausse de 10% intervient sur le prix d’achat des
vêtements nui passe à 660 000 francs, le commerçant,
appliquant la même marge de 20%, réalise alors une marge
totale de 132000 francs, soit 12 000 francs de plus. Ce supplément
de marge ne vient pas dans sa totalité augmenter le bénéfice
du commerçant puisque pour les 6 vêtements qu’il acquiert
pour lui-même et ses employés il va devoir acquitter un
supplément de 300 francs. Il lui reste cependant 11 700 francs,
soit 97,5% de son supplément de marge, qui ne sont pas économiquement
justifiés. Ils constituent un supplément de revenu pour
le commerçant : ils sont inflationnistes.
Cet exemple simple montre clairement que l’utilisation généralisée
de marges commerciales ajoute un supplément de hausse à
la hausse.
LES COEFFICIENTSDE LA COMPTABILITE INDUSTRIELLE, SOURCE D’INFLATION
La marge du commerce englobe la marge de bénéfice et la marge de frais. Dans l’industrie au contraire la comptabilité les distingue : mais ces marges conservent en période d’instabilité des prix le même caractère inflationniste que la marge commerciale. Il suffit en effet que le prix des matières premières ou que le coût de la main d’oeuvre augmente pour que la hausse se repercute sur les coefficients de frais et sur la marge bénéficiaire suivant un mécanisme identique à celui que nous avons mis en évidence dans le cas de la marge commerciale.
LA METHODE DES « UNITES D’OEUVRE »
C’est une excellente simplification pour les calculs
des coûts Prévisionnels et l’établissement des devis,
en période de stabilité des prix, mais c’est une méthode
qui devient rapidement accélératrice de l’inflation dès
que se manifeste une hausse quelconque.
Supposons que pour évaluer le prix de revient d’une fabrication.
un industriel utilise l’unité d’oeuvre « franc de main
d’oeuvre directe ». Il va procéder de la façon suivante
: il calcule pour une fabrication déjà exécutée
le rapport du coût total de production au total des salaires payés
pour la réaliser. Ce rapport constitue le coefficient multiplicateur
qui est ensuite utilisé pour établir dans un devis, pour
une autre fabrication, le coût global de production à partir
de la seule estimation du coût de la main-d’oeuvre. Donc si les
salaires augmentent, le coût global de production est augmenté
dans la même proportion au bénéfice de l’entreprise.
Prenons à titre d’exemple le cas d’un fabricant de meubles de
cuisine qui, pour produire une série donnée de meubles,
a dépensé 200 000 francs de matière première
et 100 000 francs de main-d’oeuvre. Le coût global de fabrication
est donc de 300 000 francs. S’il utilise l’unité d’oeuvre «
franc de main-d’oeuvre directe », pour évaluer ses productions
futures. il obtient un coefficient multiplicateur de 300 000/100 000
= 3. Si le coût de la matière première reste stable
et que seul le coût de la main-d’oeuvre augmente de 10% (Ce qui
porte à 110 000 francs le total des salaires payés pour
cette production). L’industriel va prévoir suivant la règle
en usage un coût de production de 110 000 x 3 = 330 000 francs.
Il fait donc subir au prix de sa production une hausse de 10 %, alors
qu’en réalité l’augmentation du coût de fabrication
n’est que de 3.2 % (10 000 francs et non 30 000 francs).
D’autres pratiques, autorisés par le Plan Comptable telles que
les emprunts, les amortissements ou la réévaluation des
stocks contribuent aussi à aggraver l’inflation.
Cela tient à ce que la comptabilité actuelle a été
conçue pour un régime de prix stables ou peu variables.
Dans ces conditions les contrôles administratifs ou fiscaux ne
peuvent que se limiter à vérifier les chiffres donnés
par la comptabilité et à constater Ia réguIarité
des méthodes comptables. Ils ne peuvent rien au caractère
excessif de ces pratiques qui est inhérent au système.