L’inflation, ce mal incurable ?

Dossier : MONNAIE ET INFLATION
par  J. CARLESSE
Publication : mai 1977
Mise en ligne : 18 mars 2008

On épiloguera longtemps sur les causes de l’inflation.
Avec Ricardo, les économistes classiques, dont Raymond Barre est l’un des maîtres incontestés, l’attribuent à l’augmentation excessive du volume de la monnaie, c’est-à-dire, de nos jours, du crédit.
D’après l’école post-keynesienne l’inflation serait le fait même d’une hausse générale des prix.
Mais cette hausse des prix ne peut-elle être aussi la résultante de l’augmentation du volume de la monnaie, qui, stimulant la demande face à l’offre enflerait les profits ? C’est ce qui est généralement admis et c’est ce qui pousse notre grand argentier à restreindre les crédits et à « geler » les prix.
Mais comme les salaires sont plus ou moins rattachés à une échelle mobile, ne serait-ce que par le S.M.I.C., on déduit qu’à tout « ciel » des prix doit correspondre un « gel » des salaires.
Or l’inflation n’est pas un phénomène nouveau. rite sévissait du temps de la pénurie et, loin de disparaître à l’ère de l’abondance, elle semble au contraire s’exacerber avec l’accroissement de la production. Et c’est en Partie normal puisqu’il

faut, en tout état de cause, plus de monnaie pour acheter une production de plus en plus abondante.
Pour ce faire on a eu recours très longtemps à la dévaluation décrétée des devises. Ces dévaluations sont devenues par la suite implicites avec l’utilisation généralisée de la monnaie scripturale.
On peut donc suivre l’inflation au cours de l’Histoire en considérant les dévaluations successives.
Mais si l’on en croit le dixième rapport du Conseil national du crédit, le seul actuellement en notre possession, les prix de gros ont évolué de 100 à 2 600 de 1938 à 1955 alors que la production industrielle n’a évolué que de 100 à 177 durant la même période. Donc avec un correctif de cet ordre justifiant l’inflation monétaire Par l’inflation de la production, la courbe des dévaluations donne surtout, à quelques points près, la courbe de la montée des prix.
Ainsi, en prenant pour coefficient 1 l’indice des prix de l’an XI (franc germinal) on obtient approximativement les indices successifs suivants :

1914 .......... 2,5
1928 .......... 12 (Franc Poincaré)
1936 .......... 18 (Franc Auriol)
1937 .......... 20 (Franc Bonnet)
1940 .......... 36 (Franc Reynaud)
1945 .......... 115 (Franc Plevenl
1948 .......... 210 (Franc Meyer)
1949 .......... 375 (Franc Petsch)
1965 .......... 1 000
1970 .......... 2 000
1976 .......... 3 600 (295 postes + loyers)

Peut-on raisonnablement attribuer cette flambée vertigineuse des prix au seul accroissement des profits par le jeu de l’offre et de la demande ?
Il est indubitable que d’autres facteurs doivent entrer en ligne de compte. Et ces facteurs ne peuvent être que l’accroissement des revenus de toute sorte entrant dans la composition des prix.
On frémit à la pensée de ce qui serait advenu si Poincaré avait décrété un plan d’austérité semblable à celui de M. Raymond Barre et si l’expérience s’était poursuivie jusqu’aujourd’hui.
Les théories sociales les plus avancées ne prescrivaient alors que la satisfaction des besoins matériels de l’homme.
Or quels étaient-ils à cette époque ?
On ne pouvait avoir besoin de ce qui n’était pas encore inventé ou largement industrialisé.
Les prix et les salaires « gelés » on s’éclairerait encore à la lampe à pétrole, les habitations n’auraient ni gaz, ni chauffage central, ni eau courante. Qui pourrait s’offrir une machine à laver, un réfrigérateur, un poste de radio ou de télévision, une automobile, des loisirs, des traitements médicaux coûteux, etc. ?
Aiguillonnés par les progrès de la science, les besoins de l’homme se sont accrus. Même l’échelle mobile ne peut suivre cet appel des besoins qui, forcément, tendent à se traduire par des augmentations de salaires, lesquels, se répercutant sur les prix les accroissent et justifient de nouvelles revendications.
En réalité l’inflation est un mal nécessaire et on ne peut pas plus l’arrêter qu’on ne peut arrêter le progrès.
Elle n’est nocive que s’il y a pénurie de marchandises à vendre. Elle ne peut l’être s’il y a abondance.
Donc, au lieu d’essayer de la juguler par des Plans d’austérité, il faut la rendre utile en lui
faisant épouser l’inflation de la production et l’accroissement des besoins de l’homme. En un
mot il faut veiller à ce que ce soit la production, et elle seule, en se créant, qui détermine la quan
tité de monnaie nécessaire pour l’acheter en irriguant le pouvoir d’achat de chacun selon ses
besoins.
C’est un des objectifs de l’économie distributive et c’est vers elle qu’il faut tendre si l’on veut que l’inflation ne soit pas un fléau.