Le mouvement distributif et la politique

Tribune libre
par  J. LE MORVAN
Publication : avril 1977
Mise en ligne : 18 mars 2008

Dans le précédent numéro de «  La Grande Relève » j’ai rappelé la discrétion de Jacques Duboin à l’égard des activités politiques partisanes. Il pensait et espérait que la propagande éducative du « Mouvement Français pour l’Abondance » finirait par ouvrir les yeux d’un nombre important de Français et notamment des responsables politiques et syndicaux. Quarante années d’action opiniâtre n’ont pas permis de réaliser cet espoir.
A l’heure présente, et depuis six ans, nous vivons une profonde crise de régime. Nous comptons, en France, plus d’un million de chômeurs résultant de la politique d’un gouvernement qui entend réduire sensiblement la consommation populaire et ne pas dépasser les 4 % d’expansion annuelle tout en exportant massivement pour tenter d’équilibrer la balance commerciale. Cette politique anti- populaire provoque inévitablement un renforcement de l’autoritarisme gouvernemental, et le fascisme se profile à l’horizon.
L’économie capitaliste a atteint ses propres limites mais un gouvernement aux ordres de la Finance et du grand patronat cherche, coûte que coûte, à la faire se survivre. Quant à la Gauche qui demeure fidèle à la vision utopique de ce « socialisme de la rareté » fustigée à bon droit par Jacques Duboin, elle serait, de ce fait, incapable de redresser la situation si les élections législatives la portaient au pouvoir.

QUE POUVONS-NOUS FAIRE ?

Cette situation provoque l’inquiétude des Français qui réfléchissent. Ils sont de plus en plus nombreux car il n’y a pas que ceux qui, d’un côté, déclarent  : « Barrons la route au collectivisme et tout s’arrangera » et, de l’autre côté, ceux qui s’imaginent que si «  le Programme Commun de la Gauche » arrivait au gouvernement tous les problèmes seraient résolus.

Nous vivons donc une période historique pendant laquelle se multiplient les hommes et les femmes qui sont en mesure de nous entendre. Et ne l’oublions pas. NOUS SOMMES LES SEULS A PROPOSER DES SOLUTIONS ETUDIEES. Mais ces hommes et ces femmes ne viendront à nous que si nous descendons de notre Olympe. Nous devons non seulement leur dire ce que sera une société soutenue et vivifiée par une économie distributive mais encore leur montrer COMMENT nous pouvons l’atteindre. C’est là un problème de stratégie politique qu’il n’est plus possible de négliger... puisque les partis et les syndicats ont refusé de l’étudier.
IL N’EST PLUS POSSIBLE D’ATTENDRE.

UNE STRATEGIE

Nous devons être attentifs aux avis expérimentés de Jacques Duboin qui, nous l’avons rappelé, déclarait que les Parlements sont toujours incapables de mettre en route une véritable transformation de la société. Ce n’est donc pas dans les partis politiques que nous devons placer nos espoirs.
Notre appel doit s’adresser à tous les hommes et à toutes les femmes qui comprennent que « ça ne peut plus durer  », que « les emplâtres sur jambes de bois » sont plus dérisoires que jamais et qu’il faut mettre en route une nouvelle société.
C’est A. TOUS que nous devons faire comprendre que l’instrument de cette transformation est dans les mains de ceux qui tiennent les leviers de l’économie : les travailleurs.
Même en face d’un gouvernement dictatorial, ils sont les maîtres. Car si les usines s’arrêtent ce ne sont ni les C.R.S. ni des militaires qui seront capables de les remettre en marche. Mais, pour qu’une grève soit suffisamment générale, il faut que les travailleurs sachent pourquoi ils se battent et ce qui sera fait de leur victoire.
C’est alors que la nécessité de notre action apparaît. Non seulement nous devons leur apprendre quelle société doit être MAINTENANT édifiée mais aussi COMMENT nous la bâtirons ensemble.
Ne leur laissons jamais croire qu’elle pourrait naître spontanément de la grève générale, sans coordination entre les entreprises en grève, sans un centre coordinateur de leur action, sans la conquête du pouvoir politique et sans la mise en route de la société socialiste et distributive par leurs propres délégués.
Il faut leur rappeler qu’au cours des 40 dernières années le pouvoir politique fut plusieurs fois vacant. Il n’y a que neuf ans, en 1968, il serait tombé aux mains des travailleurs... si leurs responsables syndicaux et politiques avaient eu une envergure d’hommes d’Etat révolutionnaire. Mais ils ne l’avaient pas et, au gouvernement, les responsables syndicaux ou politiques se seraient trouvés désemparés parce que n’ayant pas pensé préalablement la transformation écot inique et sociale.
En 1936, Léon Blum et Maurice Thorez eurent bien en mains les leviers politiques pendant quelques mois, mais « révolutionnaires sans révolution A, selon le mot de Gaston Bergery, ils ne furent que u les honnêtes gérants du régime capitaliste  ».
Aujourd’hui, la situation économique de la France est autrement plus détériorée qu’en 1936 et 1968. Notre action devient beaucoup plus nécessaire et urgente.

L’UNION NECESSAIRE

C’est aux militants pour l’Economie Distributive qu’il appartient de former H des hommes d’Etat socialistes » qui seront capables de mettre en route la société nouvelle qui nous permettra de vivre en sécurité, dans l’aisance et la joie, cette joie qui naîtra d’une société pénétrée de l’esprit de liberté et de fraternité.
Mais nous ne serons capables de remplir cette urgente mission que si nous mettons, très rapidement, un terme à nos divisions. Ceux qui ont compris la nécessité d’une société distributive sont aujourd’hui, en France, peu nombreux ; le plus impérieux de leur devoir est d’unir leurs faiblesses - dans la fidélité au message de Jacques Duboin - pour en faire une force qui soit en mesure de réveiller ce pays et de lui montrer la route de son salut.