Un principe fondamental
par
Publication : avril 1977
Mise en ligne : 18 mars 2008
« Le progrès technique crée de
l’emploi » affirment les économistes. Si ce principe était
juste, il y aurait de plus en plus d’emplois au fur et à mesure
du développement du progrès, de moins en moins de chômage,
la prospérité économique serait de mieux en mieux
assurée, - si rien ne s’y opposait par ailleurs, bien entendu
-. L’Economie du Gain s’adapterait parfaitement au progrès.
« Le progrès technique supprime de l’emploi », pensons-nous
au contraire. Si ce principe était juste, le travail des machines
de plus en plus automatiques se substituerait de. plus en plus au travail
des hommes. Comme le progrès est illimité et irréversible,
il condamnerait irrémédiablement l’emploi, le salaire
en résultant, puis, en chaîne, le bénéfice,
tous les autres gains et finalement l’Economie du Gain.
DEUX CONCEPTIONS DE LA REALITE
Nous sommes en présence de deux conceptions
fondamentales diamétralement opposées. L’une est juste,
l’autre est fausse. Une seule exprime la réalité. Si c’était
la première, Economie du Gain pourrait subsister jusqu’à
la fin des temps humains. Si c’était la deuxième, il serait
impérieusement nécessaire de remplacer le gain par le
revenu social, et l’Economie du Gain par l’Economie du Revenu Social.
Voilà le problème social le plus important des temps passés,
présents et futurs, car de sa solution dépend l’avenir
de l’économie, de la société, de la civilisation
et de l’humanité. Ce problème est pourtant l’un des plus
méconnus. Rien n’est donc plus important que répondre
à cette question fondamentale, essentielle :
Le progrès technique crée-t-il ou supprime-t-il de l’emploi
?
LE PERFECTIONNEMENT DES MACHINES
Il peut sembler évident qu’il en supprime.
En effet. le progrès conduit à des machines de plus en
plus automatiques qui fabriquent des machines elles-mêmes de plus
en plus automatiques. Nous concevons difficilement qu’un tel processus
crée de l’emploi. S’il en était ainsi. pourquoi donc les
syndicats, les partis et tout le monde réclameraient-ils à
cor et à cri, avec une étonnante obstination, de nouveaux
emplois ? Pourquoi donc le Président de la République
et le gouvernement claironneraient-ils à tout bout de champ,
sans jamais s’en fatiguer, qu’ils vont créer de l’emploi ?
Un industriel se fait livrer et installer une machine moderne, en remplacement
d’une autre, moins élaborée, afin de rendre le prix de
ses marchandises plus compétitif. Il fallait deux hommes pour
conduire l’ancienne machine, il n’en faut plus qu’un avec la nouvelle,
qui, de surcroît, produit deux fois plus. Dans le cadre de cette
entreprise, le progrès diminue l’emploi et augmente la production.
De plus, pour produire la même quantité avec l’ancien matériel,
il faudrait deux machines et quatre hommes. Ce n’est donc pas un seul
emploi qui est supprimé, mais trois, dont deux, tués dans
l’oeuf, ne pourront pas être offerts à deux jeunes travailleurs,
qui seront chômeurs avant d’entrer dans la vie professionnelle,
faute d’emplois éliminés par le progrès technique.
LES EMPLOIS NOUVEAUX
- C’est entendu, nous répond-on, le progrès
élimine de l’emploi, mais il en crée plus qu’il en supprime,
car il faut construire de nouvelles machines, les transporter, les installer,
faire face à d’autres incidences.
Dans le prix d’une marchandise quelconque - que ce soit un objet d’usage
courant, un engin ou une machine - est incorporé le prix de travail
de toutes les personnes qui ont coopéré, de près
ou de soin, directement ou indirectement, à sa fabrication et,
en ce qui concerne la machine-outil, à son installation, car
dans les affaires, personne ne fait de cadeau à personne.
Si le progrès créait plus d’emplois qu’il en supprime,
le prix de la machine de notre industriel, et de son installation, serait
supérieur au prix du travail de trois ouvriers pendant la durée
de fonctionnement de cette machine, soit peut-être pendant une
vingtaine d’années ou plus. On se demande alors pourquoi l’industriel
aurait-il remplacé son outillage ? Pour dépenser plus
d’argent ? Pour rendre ses prix moins compétitifs ? Pour être
mis en faillite, pour perdre ses réserves et ses économies
personnelles ?
Nous avons choisi un exemple simple pour faciliter la démonstration
et la compréhension du sujet, mais la réalité du
fait, sa matérialité dirait un juriste, est rigoureusement
la même dans tous les cas. qu’il s’agisse d’un outil, d’un engin,
d’une chaîne de fabrication ou d’un complexe industriel.
L’EXEMPLE DU CHEMIN DE FER
Pour étayer le principe de la création
d’emplois par le progrès technique, l’argument massue mis en
avant par les économistes est que les chemins de fer ont créé
plus d’emplois qu’il y en avait à l’époque des diligences.
Mais ils oublient d’ajouter que pour assurer avec des diligences et
des charrettes le même trafic de voyageurs et de marchandises
qu’avec les chemins de fer, le nombre des emplois d’éleveurs
de chevaux, de palefreniers, de cochers, d’aubergistes de relais, de
charrons, de bourreliers, de carrossiers, de maréchaux-ferrants,
de cantonniers, etc., serait tellement élevé qu’il dépasserait
énormément la capacité nationale d’emploi. En mettant
toutes nos possibilités de main-d’oeuvre et d’élevage
de chevaux
dans le transport hippomobile, on assurerait sûrement le plein-emploi,
mais aussi un trafic extrêmement inférieur à celui
des chemins de fer. Cela signifie que le progrès technique diminue
l’emploi et augmente la production, le rendement, la productivité.
La conclusion de nos observations, puis de l’ana. lyse de l’argument
des économistes sur les chemins de fer, est que le progrès
technique supprime de l’emploi. Il nous sera impossible de changer d’avis
tant que la démonstration du contraire ne sera pas faite, en
langage clair et sans faux-fuyant. A défaut, nous sommes convaincus
d’avoir raison ; donc nous pensons que les économistes ont tort
sur ce principe fondamental, jusqu’à preuve du contraire. Or,
cette preuve, ils refusent de nous la donner. Ils refusent de passer
notre démonstration au crible de la critique. Ils gardent le
silence le plus absolu sur l’économie distributive et sur tout
ce qui s’y rapporte, sur tout ce qui y conduit. Devant cette attitude
négative, nous ne pouvons que formuler des hypothèses :
POURQUOI CACHER LA VERITE ?
Se trompent-ils sur le principe fondamental ? Mentent-ils
par omission ? Sont-ils obnubilés ?
S’ils se trompent, on se demande comment il est possible que tous les
économistes du monde se trompent, à notre connaissance
du moins, et que seuls les disciples de J. Duboin, notre maître,
appréhendent après lui, une vérité qui leur
semble évidente ?
S’ils mentent, en fait ou par omission, ce ne sont pas des savants,
mais de faux savants, car dans le domaine scientifique sont ainsi considérés
ceux qui ne disent pas la vérité. La première qualité
d’un savant, c’est la sincérité. Il doit dire ce qu’il
croit être la vérité, même si elle ne lui
plaît pas, même si elle ne plaît à personne,
même si elle heurte les convictions les plus profondes. C’est
précisément ce qu’a fait un économiste courageux,
épris de vérité, J. Duboin. Son oeuvre méritait
au moins un examen sérieux, voire une réfutation éventuelle.
Cependant, depuis 1932, soit pendant près d’un demi-siècle,
ses collègues lui ont opposé le silence opâque le
plus méprisant. Nous nous abstiendrons de commenter leur attitude
inqualifiable, tant elle est contraire à la raison, à
la solidarité et à l’esprit scientifique. L’histoire parlera
encore de Jacques Duboin, généreux pionnier de la civilisation,
la vraie, pas celle de l’argent, quand le nom de ceux gui le méprisent
aura été oublié depuis longtemps. Bref, ne pas
dire la vérité, mentir par omission, c’est être
un partisan avant tout au service de son parti, de ses convictions et
de ses préjugés.
Les économistes sont-ils obnubilés par leur propre enseignement,
transmis de génération en génération ? Sont-ils
submergés à leur insu par le préjugé de
la pérennité de l’économie du gain, ce qui paralyserait
leur faculté de penser à cet endroit ?
Sont-ils effrayés inconsciemment par l’envergure du problème ?
Ont-ils peur de se compromettre, de perdre leur situation, de passer
pour des utopistes, des illuminés sans plomb dans la cervelle
et qu’on ne prendrait pas au sérieux ? Bien sûr, s’ils reconnaissaient
publiquement que l’emploi est condamné par le progrès,
il leur faudrait envisager de remplacer le gain qui en résulte
par un revenu social, d’où un changement d’économie, de
société, de civilisation et, finalement, de mentalité.
Il y a de quoi être effrayé, en effet !... Mais il y a
plus effrayant encore, c’est de laisser le monde dans l’ignorance, dans
la nuit, sans boussole pour se diriger, sans but. Là est la cause
de l’extrême confusion qui règne dans les esprits et la
société.
LES CONSEQUENCES
La responsabilité des économistes est
énorme la société leur fait confiance. Elle attend
d’eux d’être renseignée, parce qu’ils sont des professionnels
en la matière, professeurs de faculté, spécialistes,
experts, savants en sciences économiques. Ils sont conseillers
des syndicats, des partis de droite ou de gauche, du gouvernement -
quand ils, ne cumulent pas les fonctions d’économiste et de ministre.
Ils ont largement accès à la presse, écrite ou
parlée. En somme, ils exercent une influence considérable
sur l’opinion publique et particulièrement sur les personnes
ayant des responsabilités. Méritent-Ils la confiance que
tout le monde leur accorde ? Ne trahissent-ils pas leur mission en laissant
dans l’ignorance le monde qu’ils sont chargés d’informer ? Nous
aussi, nous sommes effrayés, mais n’est-ce pas par leur attitude
négative, par leur silence, par leur refus d’examiner sérieusement
le problème fondamental, essentiel, le plus important de tous
les temps et oui est, c’est un comble, de leur seule compétence
!...
De toute façon, « on ne sait pas où on va, mais
on y court !... » a dit quelqu’un. Cette petite phrase exprime
parfaitement l’ignorance et la folie du monde présent. On se
demande à quoi servent les économistes, qui restent aussi
muets que des statues devant cette extrême confusion dans laquelle
le monde s’englue. Cela suscite dans le coeur de tous le vague sentiment
que rien de bon ne peut en résulter, l’humanité accomplit
sa destinée sous les ailes poires de la fatalité contre
laquelle on ne peut rien faire.
A l’inverse de cet abandon dû à la défaite de la
pensée. au manque de courage pu au préjugé des
économistes, la certitude que nous sommes sur la bonne voie,
d’où l’on découvre la merveilleuse perspective d’un monde
nouveau en harmonie avec le travail des machines, soulève notre
enthousiasme, notre espérance et même, en dépit
des apparences, notre confiance en l’humanité. Cette dernière
réaliserait l’économie distributive si elle était
informée comme elle devrait l’être à ce sujet, d’une
importance de loin sans pareille.