Enfin une bonne nouvelle !
par
Publication : avril 1977
Mise en ligne : 18 mars 2008
Durant la dernière campagne électorale,
celles des municipales, M. Giscard d’Estaing, histoire de se changer
les idées, qu’il avait plutôt moroses, et de voir d’autres
tronches que celles de ses ministres, est allé visiter le Salon
de l’Agriculture à la Porte de Versailles. Et il en est sorti
tout ragaillardi, le Président. Il en avait grand besoin.
C’est que le métier de président libéral avancé
n’est pas un métier de tout repos. Il y a des cactus. Les adversaires,
de l’opposition, bien sûr, et même ceux de la majorité,
qui vous attendent au tournant. Et il y a les petits amis impatients
qui voudraient prendre la place. Il y a aussi la conjoncture économique,
l’inflation, le chômage, le franc qui se débine, et le
reste. Comment voulez-vous gouverner dans de telles conditions ? C’est
dur, vous savez.
Alors, il faut bien, de temps en temps, pour ne pas sombrer dans la
déprime, aller se remonter le moral, au Salon de l’Agriculture,
par exemple. C’est plus tonique que le Centre Pompidou, croyez-moi.
J’ignore, n’ayant pas été invité à cette
belle cérémonie, si Giscard en est ressorti gonflé
à bloc, comme on l’a dit, ou s’il a seulement fait semblant devant
les photographes et les micros, mais c’était bien imité.
Je dois dire que, vue de la Porte de Versailles, quand le temps est
beau, l’Agriculture et ses deux mamelles de la France, avec ses montagnes
de choux- fleurs, ses tonnes de beurre, ses pyramides de camemberts,
ses ovins primés, ses bovins déprimés, son matériel
modernisé, ses hôtesses, et tout le folklore qui accompagne
ce genre de manifestations, l’agriculture, même pour le visiteur
distrait, offre un visage plutôt réconfortant.
C’est autre chose, j’imagine, que d’aller voir sur place, dans les campagnes,
comment ça marche, que de se trimballer dans des chemins impossibles,
serrer la paluche de tous les culs-terreux qu’on rencontre, souvent
mal embouchés, en souriant, avec un petit mot gentil pour tout
le monde. Surtout quand on n’est même pas foutu de faire la différence
entre une vache landaise et un épagneul breton. Bien heureux
encore quand ces péquenots ne s’amusent pas à barrer les
routes ou à répandre sur la chaussée des artichauts
arrosés de mazout.
Au salon de l’Agriculture tout s’est bien passé pour Giscard.
Il était satisfait. « Quand l’agriculture va tout va, qu’il
a dit, et quand l’agriculture ne va pas, rien ne va ». C’est comme
le bâtiment.
Et puis, sur sa lancée, le Président a annoncé
qu’un délégué aux industries alimentaires sera
prochainement nommé par le gouvernement pour donner un nouvel
élan à cette industrie, et, par contre-coup, à
l’agriculture. Ca fera toujours un chômeur de casé.
Attendez, ce n’est pas fini. Giscard, visiblement en pleine forme, a
ajouté : « Après les trois dernières années
difficiles qu’a traversées l’agriculture, on peut actuellement
prévoir en 1977 une augmentation en volume de la production agricole
française, qui devrait dépasser les niveaux de 1975 et
de 1976 ».
Autrement dit : Tout va pour le mieux et faites-moi confiance. Je tiens
bon la barre.
C’est quand même une bonne nouvelle, non ?
Une bonne nouvelle ?,. Réflexion faite, ce n’est pas certain
du tout. Je le dis, au risque de passer pour un trouble-fête.
On voudrait bien faire confiance au Président, mais dans les
propos pleins d’un si bel optimisme qu’il a tenus, il y a quelque chose
qui me chiffonne Ou bien Giscard se paie notre tête à tous,
ou bien il n’est pas au courant. Il a tellement à faire, cet
homme.
Pourtant il devrait savoir qu’en dépit de toutes les difficultés
qu’a connues l’agriculture depuis trois ans, le mauvais temps, la sécheresse,
le mildiou, le doriphore, et tout, la France, avec le Marché
Commun, n’a pas réussi encore à se débarrasser
de toute sa surproduction. Les stocks de poudre de lait, de beurre et
autres denrées s’entassent un peu partout jusqu’à devenir
encombrants. Et pas le plus mince espoir de les fourguer, même
à perte. (Mais aux frais des contribuables, comme le veut un
usage solidement établi).
Alors, si maintenant la récolte 1977, comme l’annonce Giscard,
se met à être bonne, c’est foutu ! Je ne vois pas comment
le gouvernement, même avec à sa tête le meilleur
économiste français, pourrait nous sortir de ce merdier.
On peut, bien sûr, en demandant un petit effort aux Françaises-Français,
établir, après l’impôt sécheresse un impôt
excédents. Quelqu’un y a sûrement pensé. Mais que
fera-t-on des stocks ?
Giscard d’Estaing, pour être plein d’optimisme, doit bien avoir
sa petite idée là-dessus. Je serais tout prêt à
partager son optimisme s’il voulait bien, un four, venir nous expliquer
son truc.
Je lui promis d’être sage. Et de ne pas aller refiler le tuyau
à Mitterrand.