Le bûcher
par
Publication : avril 1977
Mise en ligne : 18 mars 2008
LE PANIER DE CRABES
1977 : les municipales ; 1978 : les législatives.
Dans le panier, les crabes s’agitent, cherchent leur ligne de départ.
Les futures Jeanne d’Arc que la France secrète avec une régularité
exemplaire depuis un demi siècle s’apprêtent à sauter
en selle pour un galop historique sur le front de l’inflation avant
de brûler sur le bûcher de l’oubli.
Bienheureux bûcher ! Que se passerait-il s’il venait soudain à
manquer et si, par un malheur inouï, les Français retrouvaient
des bribes de mémoire ?
Car enfin voici effectivement près de 50 ans que pour des motifs
lucidement analysés par Jacques DUBOIN, les monnaies (pas seulement
la nôtre) souffrent de ce mal que les économistes traditionnels
s’obstinent à dénommer inflation, alors que précisément
le fléau de la balance ne demanderait qu’à basculer du
côté de l’offre si des prodiges d’« ingéniosité
» ne réussissaient à maintenir une rareté
relative. Voici près d’un demi-siècle que les sauveurs
se succèdent, avec leurs plans de stabilisation, de relance et
d’austérité ; les hommes nouveaux appliquent sans broncher
les recettes les plus éculées, augmentent le tabac et
l’essence, lancent leurs emprunts exceptionnels, et font succéder,
sur leurs vignettes, la photo du paysan à celle du vieillard.
Et imperturbablement les monnaies poursuivent leur slalom, bloquant
des économies dont elles ne devraient être que la traduction
chiffrée mais fidèle, et piétinant allègrement
les merveilleuses possibilités que les progrès de la science
et de la technique offrent aux hommes d’aujourd’hui.
UNE CONTRE-VERITE
Car attention, je l’ai souvent dit et nous ne le répéterons
jamais assez : le sentiment confus qu’à M. DUPONT de vivre moins
bien que ses parents correspond bien à la réalité,
en dépit des statistiques, de la télé et des embouteillages.
Redisons que notre société saturée de gadgets hautement
rentables, sacrifie les vrais besoins vitaux : qualité de la
nourriture, du logement, des rapports sociaux, de l’environnement. La
meilleure preuve en est le prix relativement très élevé
demandé à ceux qui s’obstinent par exemple à préférer
les aliments traditionnels ; de même la valeur marchande de l’air
pur et du silence. N’oublions donc jamais que les « conquêtes
sociales » des dernières décennies n’ont été
possibles qu’au prix d’un véritable écroulement des vraies
valeurs, aussi bien matérielles que morales.
Sur cette toile de fond, à ne jamais perdre de vue, l’agitation
des marionnettes prête à sourire Giscard ou Chirac ? Barre
ou Mitterand ? Quelle importance pour le sujet qui nous préoccupe
tous et qui prime actuellement tous les autres ? La gauche ne dissimule
pas que si elle arrive au pouvoir son premier souci sera, comme au Portugal,
comme en Allemagne, comme en Angleterre, de lutter à son tour
contre la fameuse inflation « retroussez vos manches » (refrain
connu avec couplets remis au goût du jour) ...
UN SONDAGE REVELATEUR
En attendant, percevant le malaise, ces Messieurs
multiplient les prises de pouls : nous sommes auscultés dans
les plus petits méandres de nos consciences de citoyens et voilà
maintenant qu’on nous accuse ouvertement de cultiver le paradoxe...
pour ne pas dire plus ! Une majorité d’entre nous n’a-t-elle
pas eu assez d’inconscience pour déclarer récemment :
1°) que nous nous sentons mal dans notre peau actuelle et qu’il
fallait que ça change.
2°) que nous ne souhaitions pas opter pour une société
« collectiviste ».
Pour notre part, nous déclarons cette apparente contradiction
parfaitement logique, et elle aurait dû faire éclater aux
yeux les moins dessillés une escroquerie intellectuelle aveuglante
qui dure depuis des lustres : à savoir la confusion savamment
entretenue entre les problèmes économiques et le choix
d’un régime politique. Dans notre système du Profit, en
effet, aucune libéralité ne peut être accordée
à quiconque sans amputer les ressources de quelqu’un. Dans ces
conditions, tous ceux qui possèdent quelques privilèges
se rangent automatiquement dans le clan des conservateurs, tandis que
les lésés, regroupés au sein d’une opposition,
oeuvrent pour que la prise de pouvoir politique leur permette d’intervertir
les rôles. En se faisant les seuls champions d’une suppression
des injustices sociales, les partis politiques trichent, puisqu’aucun
d’eux ne propose de s’évader du système économique
actuel. Pourquoi l’instauration d’une économie des Besoins serait-elle
le monopole de telle ou telle forme de gouvernement ?
LE VRAI CHOIX
Gageons que, bientôt, on va nous seriner à
longueur d’émission de radio et de télévision le
caractère angoissant et définitif des choix que nous allons
être amenés à faire. Belle occasion pour nous tous
de remettre les choses au point ce qui engage fondamentalement l’avenir,
c’est le temps qui s’écoulera avant que le changement de système
économique ne nous permette à nouveau de vivre, au vrai
sens du terme. Car ils pèseront lourd ces mois au cours desquels
nous allons continuer à polluer, à gaspiller les réserves
planétaires, à hypothéquer l’avenir de nos enfants
et peut-être à nous préparer une fin de siècle
d’apocalypse !
J’exagère ?
Comme je souhaiterais en être sûr !..