Ils y viennent !
par
Publication : avril 1977
Mise en ligne : 18 mars 2008
A ceux qui lui reprochaient de ne pas avoir réussi
à instaurer l’économie distributive, Jacques Duboin répondait
: « elle fait son entrée dans le monde, discrètement,
par la porte basse du chômage. Elle est déjà là,
dans les multiples et diverses allocations ».
Il disait aussi qu’à son avis ce serait aux EtatsUnis qu’elle
serait d’abord mise en pratique parce que c’est le pays où les
progrès technologiques sont le plus poussés et où,
par conséquent, les contradictions du capitalisme sont les plus
exacerbées.
Encore une fois, les faits lui donnent raison et en voici une nouvelle
preuve : le syndicat américain de l’acier (U.S.W.) oui compte
un million quatre cent mille adhérents, demande « A VIE,
un REVENU ANNUEL qui ne tienne pas compte des changements pouvant intervenir
dans l’économie nationale, l’industrie de l’acier ou dans une
entreprise donnée et l’emploi même d’un syndiqué
».
C’est donc la garantie du revenu et non plus celle de l’emploi que réclame
ce puissant syndicat. Quand on sait à quel point les syndicats
américains sont intégrés aux institutions capitalistes,
on ne peut que s’étonner d’une telle revendication qui traduit
une sérieuse perte de confiance dans le système de la
libre entreprise. Mais, premières victimes du chômage et
de l’inflation, les ouvriers de l’acier estiment qu’ils doivent eux
aussi bénéficier des clauses de non licenciement déjà
accordées à un certain nombre de cheminots, de dockers
et d’ouvriers de l’imprimerie, en échange de leur accord sur
la modernisation et l’automatisation des entreprises.
Le syndicat entend donner à cette revendication la plus haute
priorité et laisse aux négociateurs le choix des moyens
appropriés pour atteindre ce but : réduction. de la durée
de la semaine de travail, ou création d’un fond permettant d’assurer
aux licenciés un revenu permanent.
De leur côté les compagnies sidérurgiques critiquent
ces revendications, propres, disent-elles, à faire monter le
prix de l’acier ; mais, pragmatiques, les plus importantes d’entre elles
ne réagissent pas de manière entièrement négative
: appréciant l’avantage de disposer d’une main-d’oeuvre qualifiée
et stable, elles semblent prêtes à satisfaire cette revendication
à condition d’en limiter le bénéfice aux ouvriers
ayant une certaine ancienneté.
Ces nouvelles devraient être riches d’enseignements pour les syndicats
français, confrontés, comme ceux de tous les pays industrialisés,
aux mêmes problèmes d’automatisation et de licenciement.
Réalistes et efficaces, les syndicats américains sont
prêts à immoler la sainte libre entreprise sur l’autel
du « revenu à vie », pourquoi les syndicats français
ne sacrifieraient-ils par le droit à l’emploi au droit au revenu
?