Adieux au prolétariat
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Mise en ligne : 3 décembre 2007
Si la gauche reste sourde, André Gorz, au contraire évolue, et nettement, comme en témoigne ce qu’il écrivait en 1980 dans son essai Adieux au prolétariat :
« L’automatisation, puis l’informatisation suppriment les métiers et les possibilités d’initiative, et remplacent par un nouveau type d’O.S. ce qui reste d’ouvriers et d’employés qualifiés. La montée des ouvriers professionnels, leur pouvoir dans l’usine, leur projet anarcho-syndicaliste n’auront été qu’une parenthèse que le taylorisme, puis “l’organisation scientifique du travail” (O.S.T.) et enfin l’informatique et la robotique auront fermée ».
[Et donc : ] « La crise du socialisme, c’est d’abord la crise du prolétariat. Avec l’ouvrier professionnel polyvalent, sujet possible de son travail productif, et, partant, sujet possible de transformation révolutionnaire des rapports sociaux, a disparu la classe capable de prendre à son compte le projet socialiste et de le faire passer dans les choses. La dégénérescence de la théorie et de la pratique socialistes viennent fondamentalement de là. » […]
« Avec la possibilité de s’identifier au travail disparaît le sentiment d’appartenir à une classe […] Il n’est donc plus question pour le travailleur ni de se libérer au sein de son travail ni de se rendre maître du travail ni de conquérir le pouvoir dans le cadre de ce travail. Il n’est plus question désormais que de se libérer du travail en en refusant tout à la fois la nature, le contenu, la nécessité et les modalités ».
En 1857, Marx écrivait déjà : « le temps est venu où les hommes ne feront plus ce que les machines peuvent faire », annonçant ainsi que le capitalisme tendait inexorablement vers l’abolition du travail, qui, à son tour, entraînerait sa mort. Cette théorie reprise en 1932 par Jacques Duboin et plus récemment en Italie, par des marxistes “autonomes”, correspond enfin à des faits observables. C’est pourquoi le thème de l’abolition (ou de la réduction) du travail obligé est plus subversif que jamais. Si tout le monde prenait conscience qu’il n’y a plus virtuellement de problème de production mais seulement un problème de distribution – c’est-à-dire de partage équitable des richesses produites et de répartition équitable sur toute la population du travail socialement nécessaire [1] – le système social actuel aurait de rudes difficultés à se maintenir. Que deviendraient la discipline au travail, l’éthique du rendement, l’idéologie de la compétition si chacun savait qu’il est techniquement possible de vivre de mieux en mieux en travaillant de moins en moins et que le droit à un “plein revenu” n’a plus besoin d’être réservé à ceux qui fournissent un “plein travail” ? »
La “mutation” du Michel Bosquet de 1977 en l’André Gorz de 1980 est donc totale. Faut-il croire que l’éditorial de la GR de novembre 1977 et la correspondance d’Henri Muller y sont pour quelque chose, comme le laisse entendre la dédicace accompagnant son envoi de son livre Les chemins du paradis : « À Marie-Louise Duboin, cette contribution à la lutte pour le revenu social avec la reconnaissance de ma dette. Amicalement. »
[1] NDLR : C’est nous qui soulignons ces deux phrases pour attirer l’attention des lecteurs .