Le point de départ

À l’origine du débat, l’apostrophe que l’éditorial de la Grande Relève N°747 de juin 1977 adressait à Michel Bosquet :
1977
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 30 novembre 2007

La gauche fera-t-elle l’effort nécessaire ?

Dans le « Nouvel Observateur » du 23 mai dernier, Michel Bosquet, sous le titre « les économistes communistes ont-ils raison ? », analyse les calculs effectués par le P.C.F. Il souligne que celui-ci ne fait que « proposer ce que la gauche a toujours dit : il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres ». Il montre qu’un tel transfert au cours de l’année qui vient ne représenterait que 9 % du produit national français ; et que d’ailleurs cette somme à verser aux pauvres pourrait même ne pas être prise aux riches grâce seulement à « l’élimination de la sous-utilisation du potentiel productif, une économie accrue des moyens matériels et une efficacité supérieure des investissements ».

Restent évidemment les modalités de ce transfert. Et comme pas plus Michel Bosquet que les communistes n’envisagent de sortir du système capitaliste des prix-salaires-profits, ils tombent sur un écueil de taille : l’incompatibilité entre un système qui repose sur le principe que « l’argent va à l’argent » et tout idéal d’équité, voire seulement d’humanité. Alors, pour résoudre cette quadrature du cercle, Michel Bousquet propose cette solution absolument géniale : il n’y a qu’à pénaliser les entreprises qui utilisent des machines capables de remplacer l’homme ! Pourquoi ne proposez-vous pas, M. Bosquet, à votre directeur, de remplacer l’imprimerie du « Nouvel Observateur » par quelques centaines de milliers de copistes ? Si un seul quotidien suivait ce bel exemple, le problème du million de chômeurs serait résolu ! Mais est-ce bien là ce que vous appeliez plus haut une efficacité supérieure des investissements ?

« Quand comprendra-t-on que le chômage aujourd’hui est à la mesure du progrès, et que vous ne pourriez résorber le chômage qu’en faisant la guerre au progrès ? Ce qui reviendrait à faire faire péniblement par les hommes ce que les machines font plus rapidement qu’eux. Il y a des gens, en 1934, qui parlent de proscrire les machines alors qu’elles ont été inventées uniquement pour alléger la peine de l’homme ».
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Vous avez bien lu. Cette citation de Jacques Duboin date du 25 septembre 1934, dans son livre « Ce qu’on appelle la crise ». Changez la date et voici une réponse toute faite pour Michel Bosquet.

Il est tout de même bien triste de voir que les économistes de gauche, qu’a priori on estime plus libérés du carcan de l’idéologie capitaliste que ceux du camp adverse, sont tout aussi incapables de pousser leur raisonnement jusqu’à conclure : puisque les moyens existent de faire faire par les machines les travaux pénibles, il faut inventer un système économique qui permette aux hommes ainsi libérés d’en profiter ! Partout on cherche à inventer, à innover, partout on veut que l’imagination prenne le pouvoir... sauf en économie ! Comme le souligne M. Bosquet, les économistes du P.C.F. formés à l’INSEE et dans les Grandes Écoles sont tout aussi technocrates que les autres et nous nous posons avec lui, mais aussi à propos de lui-même, la question : ne serait-ce pas précisément leur formation économique qui les égare ? M. Bosquet soulève ensuite un autre problème : si l’on donne du jour au lendemain aux pauvres les moyens d’acheter plus, leur demande, sur le marché, ne correspondra pas à la production préparée pour les riches. Voilà une remarque judicieuse. Quel dommage que son auteur ne soit pas allé jusqu’à chercher la cause de cet écueil qu’il dénonce : l’économie capitaliste fonctionne pour satisfaire les seuls besoins soLVABLES, elle n’est donc pas faite pour satisfaire ceux des pauvres. C’est bien pour cela qu’elle ne peut pas être équitable. Ses structures l’en empêchent. C’est bien en cela que démocratie et capitalisme sont incompatibles. Et c’est pourquoi, Monsieur Bosquet, il ne peut pas y avoir de vrai socialisme sans changement des principes mêmes du système économique.

La question est clairement posée : la gauche est- elle prête à l’entendre ?


Non, la gauche n’était pas prête à l’entendre puisque, trente ans après, elle ne l’entend toujours pas. Par contre Michel Bosquet devenu André Gorz avouait récemment au téléphone qu’il avait encore cette apostrophe en mémoire.