Histoires de démantèlements

En parallèle au Grenelle de l’environnement
par  C. ECKERT
Mise en ligne : 31 octobre 2007

Dans la profusion de discours et de déclarations médiatisées, qu’il est difficile de cerner la vérité ! Ce que Caroline Eckert a trouvé dans la littérature, en particulier sur le coût du démentèlement des centrales, l’a amenée à remettre en question le calcul du coût réel de l’énergie nucléaire :

Depuis plus de trente ans, les gouvernements successifs se sont au moins accordés sur un point, à savoir leur volonté farouche d’imposer l’industrie nucléaire. Pour cela ils se sont efforcés de nous convaincre que l’électricité d’origine nucléaire était la moins chère. Mais par quels tours de passe-passe sont-ils arrivés à présenter un prix du kilowatt assez faible pour étouffer toute contestation ?

D’abord le coût des recherches n’est pas pris en compte dans le calcul du prix de revient mais directement imputé au budget de l’Etat. C’est aussi vrai pour les autres sources d’énergie, y compris les énergies renouvelables, sauf que les sommes consacrées à ces dernières sont dix fois inférieures aux investissements en faveur du nucléaire [1].

Le deuxième poste de dépense non comptabilisé est celui lié à la gestion des déchets nucléaires. Le retraitement des déchets produits par d’autres pays a pendant un certain temps permis de compenser une partie des frais par des rentrées d’argent, mais les clients se raréfient [2]. Le site d’enfouissement de Bure relève jusqu’ici du budget de la recherche, mais il ne pourra pas éternellement rester un « laboratoire ». Il est donc à prévoir que le coût de la gestion des déchets aille en augmentant, surtout que les quantités de déchets croissent et que les problèmes de sécurité sont de plus en plus contraignants.

La troisième catégorie de dépenses omises dans le calcul du prix de l’électricité est celle associée au démantèlement des centrales. Et là, contrairement à la recherche et à la gestion des déchets, c’est l’inconnu, car ils ne font que commencer. Les trois exemples qui suivent laissent cependant craindre que les sommes en jeu sont considérables.

Une pile universitaire

Il s’agit d’un petit réacteur nucléaire, situé dans une banlieue strasbourgeoise et destiné à la recherche, et qui, avec moins de 5 kg de combustible, produisait 27.000 fois moins qu’une seule tranche de la centrale alsacienne de Fessenheim [3]. Petit par sa puissance, mais grand par son coût. Il y a plus de 10 ans c’est en effet le prix exorbitant du combustible, 5 millions de francs à l’époque, qui avait conduit l’université à renoncer à son remplacement, et à décider l’arrêt du réacteur. Aujourd’hui son démantèlement est en cours et reviendra à 3 millions d’euros… si les estimations ne sont pas dépassées. Sachant que la production nominale d’une tranche de la centrale de Fessenheim est de 900 mégawatts [4] et qu’il y a 2 tranches, calculez le coût de la déconstruction de la plus vieille centrale de France (elle a fêté ses trente ans au printemps dernier, mais est toujours en service malgré des « incidents » à répétition). La réponse est 162 milliards d’euros ! Heureusement, ce montant est largement surestimé car, grâce aux économies d’échelle, l’addition n’est pas proportionnelle à la puissance.

Il n’y a donc pas de quoi s’affoler, surtout que ce n’est pas non plus dangereux. Même si la pile universitaire était dynamitée, les habitants du quartier « ne seraient pas plus exposés à la radioactivité que lors d’une radiographie du thorax » est-il écrit dans le journal local. Mais le journaliste n’a lui-même pas l’air de le croire. En tout cas l’opération ne devrait déranger personne puisqu’au cours d’une conférence il a été dit que les matériaux seraient évacués par quelque 35 convois qui ne produiraient « ni bruit, ni vibrations, ni émissions de produits toxiques ou d’odeurs ». Des convois de fourmis sans doute ...

Superphénix

Arrêtée elle aussi depuis une dizaine d’années, Superphénix, la centrale de Creys-Malville, diffère de par sa taille et donc par l’ampleur des travaux nécessaires à son démantèlement. Entamé depuis plus de 6 ans, le chantier durera encore au moins 20 ans [5] et génèrera des quantités de déchets énormes, dont 5.500 tonnes de sodium, 950 tonnes d’acier et 70.000 tonnes de béton plus ou moins radioactif. La consommation électrique, équivalente à celle d’une ville de 20.000 habitants, nécessitera l’installation d’une ligne de 20.000 volts !

Nul doute que certains préfèreront mettre en avant la création d’emplois. Déjà 350 personnes dans la phase actuelle et bien plus lorsque commencera l’évacuation des déchets puisque ce ne sont pas moins de 20 à 30 transports par jour qui sont prévus entre 2008 et 2026. Le devenir de ces déchets est encore obscur mais, du point de vue financier, ils passeront vraisemblablement dans la rubrique « gestion des déchets », de sorte que cette incertitude n’aura aucune incidence sur le coût du démantèlement de la centrale. EDF a fait ses calculs et est arrivé à une estimation de ... 1 milliard d’euros, ce qui n’est finalement pas si cher comparé à autre chose, par exemple aux 150 km d’autoroute qu’une telle somme permet de construire.

Brennilis

La déconstruction de la centrale de Brennilis est en pleine actualité puisque le Conseil d’Etat, suite à un recours déposé par le Réseau Sortir du nucléaire, a récemment annulé le décret autorisant le démantèlement complet [6]. Le chantier va donc être interrompu pour un moment. A première vue on pourrait se dire qu’ils ne savent pas ce qu’il veulent, à Sortir du nucléaire ; quand le gouvernement décide de construire une nouvelle centrale ils manifestent, et quand le même gouvernement décide d’en démanteler une vieille ils déposent un recours. Mais que reprochent-ils au juste à ce démantèlement ?

Ils ont trouvé des concentrations anormalement élevées de certains éléments radioactifs dans les plantes aquatiques qu’ils ont prélevées à proximité [7]. Ils ont aussi trouvé que la préfecture avait renoncé à protéger le lac voisin de toute contamination alors qu’elle avait résisté aux pressions pendant toute la durée d’exploitation de la centrale.

Les membres du Conseil d’Etat auraient-ils tous juré fidélité à Nicolas Hulot ? Difficile à savoir car des considérations toutes autres qu’écologiques ont aussi bien pu les amener à rendre ce verdict. En effet, le plan de démantèlement prévoyait initialement que le bloc réacteur ne serait démantelé que lorsqu’un site de stockage des déchets radioactifs de longue durée de vie serait opérationnel, or rien n’est prévu avant 2020 et EDF ne veut pas attendre.

Lae fait que les radioéléments sont de moins en moins dangereux au fur et à mesure que le temps passe, est une autre raison de retard. Soucieux de la protection du personnel, l’État avait en effet fixé un délai de 50 ans entre l’arrêt du réacteur et la démolition de l’enveloppe de béton qui l’entoure. La centrale ayant cessé de fonctionner en 1985, il faudrait donc patienter jusqu’en 2035 ! Et continuer la ruineuse surveillance. On imagine aisément qu’avec le surcoût et l’impact négatif pour son image que l’interruption des travaux provoquent, EDF ne doit pas apprécier la décision du Conseil d’Etat.

Au vu des 482 millions d’euros déjà dépensés et des années déjà écoulées avant le début des étapes les plus délicates, il sera de plus en plus difficile d’annoncer des estimations de l’ordre du milliard d’euros pour un démantèlement complet. Et encore plus ridicule si l’on tient compte de la puissance des centrales : 70 mégawatts pour Brennilis, qui n’était qu’un prototype, contre 900 à 1.500 mégawatts pour les centrales actuelles (900 pour Fessenheim, 1.200 pour Superphénix ...) !

Certes les panneaux photovoltaïques, éoliennes et autres installations productrices d’énergie renouvelable doivent aussi être remplacées un jour ou l’autre. Et il est légitime de vouloir inclure leur déconstruction et leur recyclage dans le calcul du prix de revient du kilowatt d’électricité. Mais qui pourrait sérieusement affirmer que si l’on faisait de même pour l’électricité d’origine nucléaire, celle-ci apparaîtrait toujours comme la moins chère, surtout lorsque les dépenses réelles de démantèlement seront connues ?


[1“Recherche sur la fusion : un gouffre sans fond”, Les Dossiers Sortir du nucléaire, juin-juillet 2007, p. 8

[2“Areva fait grise mine”, Silence, n° 346, mai 2007, p. 36

[3“Un réacteur nucléaire de moins”, Pierre France, Dernières Nouvelles d’Alsace, 7 septembre 2006, p. Région 2

[41 mégawatt = 1 million de watts

[5“Déconstruction de Superphénix : où en est-on ?”, Georges David, Sortir du nucléaire, n° 33, décembre 2006, p. 22

[6“Le démantèlement de la centrale de Brennilis manque de rigueur”, Hervé Morin, Le Monde, 14 juillet 2007

[7“Démantèlement de la centrale de Brennilis : environnement et travailleurs payent le prix fort !”, Sortir du nucléaire, n° 34, mars-mai 2007, p. 22.