Quel sale été !

Actualité
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 31 octobre 2007

Quel triste été : avec la mort de Jacques Robin en juillet, et celles de Dorine et André Gorz en septembre, le courant d’idées que nous maintenons dans la GR depuis tant d’années a brutalement perdu le soutien de ces prestigieux philosophes.

Jacques m’a raconté qu’il a été “initié” à la grande relève de l’homme par la science, dès sa jeunesse, par son oncle “abondanciste”, comme on appelait alors les disciples de Jacques Duboin. Habitant à cette époque la région nantaise, il eut sous les yeux les licenciements qu’opérait alors la biscuiterie LU parce que son intérêt était de remplacer ses employés par des machines. Il n’oublia jamais ce drame quand il fut ensuite témoin de bien d’autres licenciements pour la même raison.

Ayant donc compris que l’humanité était en train de “changer d’ère”, titre de son livre magistral publié au Seuil en 1989, il n’eut de cesse de mettre en évidence l’impact des nouvelles technologies sur notre civilisation. Tout en poursuivant une brillante carrière de médecin conseiller dans l’industrie pharmaceutique, il entreprit d’initier et de stimuler des groupes de réflexion pour toucher plus particulièrement les “décideurs”, selon le terme qui lui était familier. Citons par exemple le Groupe des Dix de 1969 à 1976 (relire “Dix pour tous“ dans GR 966 de mai 1997) et le Centre d’Étude des Sciences et des Techniques Avancées (CESTA). L’espace le plus propice pour s’adapter à une nouvelle civilisation lui parut être l’Europe en construction ; il créa pour y réfléchir l’association Europe 92, et milita pour la ratification du traité de Maastricht. Puis, avec l’aide de Michel Hervé, maire de Parthenay, il lança La Maison Grenelle, afin d’offrir un lieu de rencontres aux intellectuels qui acceptaient d’élargir leurs réflexions au-delà de leur spécialité. Cette multidisciplinarité déboucha sur la revue Transversales/Sciences/Culture, qui, après avoir publié une collection d’articles particulièrement denses pendant plusieurs années, s’est tranformée en un site sur internet.

Très entreprenant, très dynamique, et inlassable, même face à la maladie, Jacques mobilisa tous ses talents pour convaincre et rassembler. Quitte à rallier sous le terme d’économie plurielle toutes les propositions qui présentaient un aspect susceptible d’aller dans le sens d’une évolution mieux pensée de la société humaine.

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Autant Jacques Robin était expansif, autant Gerard Horst était réservé et fuyait le public. Discret, ne s’ouvrant qu’avec mesure, pesant toujours ses mots et refusant de s’exprimer en public, il se dissimula même sous les pseudonymes de Michel Bosquet puis d’André Gorz. De même, Dorine vivait dans l’ombre de son mari, elle ne s’ouvrait qu’aux amis et avec retenue, alors que son esprit particulièrement vif et sa critique alerte étaient toujours en éveil.

Notre “rencontre” date d’il y a juste trente ans, lorsqu’à la lecture d’un article du Nouvel Observateur, signé Michel Bosquet, j’avais vivement réagi dans nos colonnes, contre l’idée exprimée de taxer les robots. Il y a quelques mois au téléphone, me dit qu’il avait encore en mémoire cette réaction, car elle l’avait surpris… et fait réfléchir.

Il m’a aidée, en 1982, à trouver un éditeur (Syros) pour Les Affranchis. Reçue un jour à Vosnon où ils s’étaient retirés, j’avais été impressionnée par les remarques de Dorine, manifestant avec quelle attention méticuleuse elle avait lu mon livre. Nous avons entretenu le contact ensuite, surtout par écrit avec Gerard et par téléphone avec Dorine. Elle m’a appris que Gerard était beaucoup plus connu en Allemagne qu’en France où il a publié son œuvre, alors qu’il se refusait, pour des raisons personnelles fort douloureuses, à s’exprimer en allemand, sa langue maternelle.

C’est un peu l’histoire de cette amitié, qui est aussi celle d’un combat commun, qu’en fouillant dans nos archives Jean-Pierre a entrepris de résumer ; ce gros travail sera l’essentiel de notre prochain numéro.

Leur décès est une perte pour la philosophie, pour la sociologie, pour l’écologie, pour la politique. Et particulièrement pour les idées que nous défendons, car en nous aidant à les approfondir et à les tenir à jour, ils nous ont encouragés et confortés.

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Or cette perte se produit alors que les politiciens dits de gauche n’ont à proposer que des rustines pour faire durer un sytème désastreux et sans avenir, tandis qu’une foule de gens cherchent comment construire autre chose, et que ceux qui ont un vrai projet à proposer n’arrivent pas à le faire savoir.

C’est pourquoi Marc Dehousse suggère qu’un texte, ou un site internet, soit dédié à la présentation succinte de tous les projets alternatifs. Le public pourrait ainsi, d’abord apprendre qu’ils existent et se faire une idée de leur contenu, et puis, enfin, les examiner sérieusement. Une idée à creuser.