Au fil des jours

Chronique
par  J.-P. MON
Mise en ligne : 31 octobre 2007

Le modèle allemand

Si l’on en croyait les médias, les Allemands sont très contents de la “grande coalition” qui les gouverne. Les réformes d’inspiration libérale initiées sous le gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder, touchant le système de santé, le marché du travail, les allocation chômage, les retraites, etc… connues sous le nom de réformes “Hartz”, auraient porté leurs fruits : le chômage a fortement baissé et l’Allemagne a une balance commerciale très excédentaire grâce à ses exportations record. (« Exporter ou mourir », disait Hitler : on n’en sort pas !)

Il n’empêche que la pauvreté est maintenant devenue le lot de millions d’Allemands qui en attribuent les causes aux lois “Hartz“. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs été rapidement abandonnées. Parmi celles-ci : les “jobs à 1 euro” de l’heure et les “agences de service personnel” censées « mieux vendre les chômeurs directement auprès des entreprises ». Ce qui devrait inciter à la prudence le gouvernement Sarkozy qui veut procéder à la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC afin de « faciliter le placement des chômeurs ». Restent aux Allemands les 7 millions de “mini-jobs” peu qualifiés, rémunérés à 400 euros maximum par mois, dont la part de cotisation patronale est réduite et forfaitaire. Et sans garantie d’emploi à long terme.

La mesure “Hartz IV”, elle, est restée en vigueur : elle réduit à 12 mois (contre 32 auparavant) la période de versement des allocations de chômage. À la fin de cette période, le chômeur de longue durée reçoit une indemnité de 350 euros, environ, s’il vit seul. En avril dernier, 7,4 millions de personnes “bénéficiaient” de ces allocations. Entre temps, les prix du lait, du beurre et du fromage ont fortement augmenté et la loi “Hartz VI” prévoit que les bénéficiaires de ces allocations peuvent être appelés à prendre un logement plus petit en fonction de leurs revenus. Pas étonnant que des centaines de milliers de personnes soient descendues dans les rues pour protester contre ces mesures.

Et savez-vous quelle conclusion en a tiré le social-démocrate Wolfgang Clement, ministre du travail ayant endossé ces réformes ? — C’est que « elles ont changé les mentalités en Allemagne, et qu’on vit aujourd’hui beaucoup moins dans l’idée que l’État peut tout financer ». On croirait entendre un “socialiste” français converti au sarkozisme !

Sicko

C’est le titre du dernier film de Michael Moore, présenté hors compétition au festival de Cannes en mai dernier, qui vient de sortir en salle tout récemment. Avec la verve habituelle de M. Moore, ce film dénonce le système américain des entreprises privées d’assurance-maladie qui fait que 48 millions d’Américains n’ont pas de couverture sociale. « Ces non-assurés sont, pour la plupart, des employés qui ont de petits salaires (des « working poors ») qui travaillent dans de petites entreprises qui ne peuvent pas payer les primes d’assurance-maladie. La majorité des Américains disposent d’une assurance privée qui leur est payée par leur employeur. C’est le cas de 58% des Américains. Les prestations varient d’une assurance à l’autre. Les gros employeurs proposent en général de meilleurs systèmes de couverture. Une très faible minorité des assurés (moins de 3%) bénéficie d’un système comparable au système français » [1].

Le film rappelle qu’au début de la présidence de Clinton, sa femme Hillary avait lancé une campagne en faveur d’une couverture sociale universelle. Elle avait dù y renoncer face aux manifestations hystériques organisées par les médecins et les compagnies d’assurance. Le producteur du film a retrouvé des documents d’archives édifiants, montrant le ton de la campagne qui fut menée et les accusations de vouloir socialiser la médecine comme dans les pays communistes, où l’on ne peut pas choisir son médecin, où c’est l’État qui décide des soins, etc.… Et c’est ainsi ainsi qu’aujourd’hui : « Les États-Unis sont le seul pays du monde occidental à ne pas avoir une couverture sociale universelle, le seul où les compagnies d’assurance reçoivent de l’argent public. Leur but n’est pas de soigner les gens, mais de maximaliser les profits » [2].

Il m’a paru cependant que Moore est un peu trop admiratif devant le système français « le meilleur système au monde. C’est l’OMS qui le dit ». Il ne semble pas au courant des mesures de “modernisation” que veut prendre le gouvernement français. Quand certains lui reprochent de manipuler les faits, M. Moore répond : « J’ai dit que General Motors allait chuter et c’est le cas. J’ai dénoncé les armes à feu aux États-Unis et vous avez vu la dernière fusillade. J’ai dit que l’intervention en Irak était fondée sur de fausses preuves d’armement nucléaire et j’ai eu raison » [2].

Apparemment, il n’est pas au bout de ses peines car Bush, le grand ami de Sarko, vient de d’opposer son veto [3] à une extension de l’assurance-santé à des millions d’enfants américains. Et cela malgré la loi qui a été votée par les deux Chambres américaines, y compris par des Républicains, 45 à la Chambre des Représentants et 18 au Sénat, qui ont voté avec les Démocrates. Bush justifie son veto en disant qu’une telle extension ouvre la porte « à un système de santé contrôlé par le gouvernement ». Autrement dit, au communisme ! Par contre Bush a fait voter une augmentation de 15 % du budget pour les guerres en Irak et en Afghanistan (190 milliards de dollars en 2008).

Allez voir “Sicko” : il vous donnera encore plus d’élan pour vous opposer aux projets dévastateurs de réforme du système de santé français !


[1V.G. Rodwin, “Vices et vertus du système de santé américain”, Le Monde, 20-21/05/2007

[2M. Moore, Le Monde, 22/05/2007.

[3Le Monde, 03/10/2007.