Biologie... du monde


par  G. LARRAZET
Publication : 24 février 1939
Mise en ligne : 26 juin 2007

L’Italie réclame la Tunisie ! L’Allemagne demande des colonies ! La France ne veut plus qu’une chose  : qu’on lui fiche la paix ! L’Angleterre veut garder son empire financier et l’Amérique son empire industriel ! Les petites nations frémissent devant leurs maîtres éventuels ! La Russie est plus mystérieuse que jamais ! Le japon veut la Chine ! Les Occidentaux également ! Les politiciens disent blanc : les événements répondent noir ! Les prestiges s’esbrouffent à qui mieux mieux, et chacun fait la parade de ses armes comme les journaux font la parade de leur publicité. Les armées en campagne sont devenues des campagnes de presse ! Car il y a quelque chose de changé : on craint par-dessus tout les foules (encore civiles) et leur prochaine étape psychologique qui les verra passer du stade subjectif et sentimental au stade rationnel et objectif. Car les foules sont prises dans l’évolution des choses, et ces choses évoluent vers l’organisation du Monde. La vérité apparaîtra bientôt, en dépit des censures rationalisées, par le simple fait que la multiplicité et le rythme des mensonges officiels conduit à leur recoupement, même dans l’esprit des corvéables les plus endurcis.

A la minute précise où tout semble perdu et où chacun se demande si vraiment le chantage à la guerre ne serait pas un besoin de guerre chez certains, il est peut-être vrai qu’un tel cataclysme n’est plus compatible avec l’évolution fatale des nations vers une organisation physiologique. Ces nations ne seraient plus assez indépendantes les unes des autres pour alimenter leur guerre à des sources matérielles et spirituelles distinctes. Elles ressembleraient aux membres de la fable, en révolte contre l’estomac qui les nourrit, et qui doivent demander à un cœur commun le sang qui les anime.

Malheureusement les armements apparaissent comme la seule transition économique probable et possible entre un Monde qui vend et un Monde qui distribue. Ils sont la tumeur nécessaire qui préserve d’un chômage universel le régime sortant. Force est donc de les justifier à tout prix aux yeux des multitudes dont l’éveil conscient et sans doute prochain donne des cauchemars aux derniers polichinelles qui président encore nos ultimes impuissances.

D’où ce souci de nous entourer d’un réseau fébrile d’enfantillages sentimentaux avec tirages de cheveux, promesses de fessées, et postillonnages dans la figure. Jamais l’opinion publique ne doit cesser de frémir pour la carcasse ou le mobilier. On obtient ainsi, avec les derniers rendements d’impôts, l’inertie stuporeuse qui la fait se tenir tranquille et l’éloigne quelque temps de sa prise de conscience ineluctable.

Car de jour en jour, dans notre chair de citoyens du Monde, il nous pousse un système nerveux qui finira bien par découvrir qu’il lui faut un cerveau. Notre sensibilité n’est encore que médullaire, socialement parlant. Les hommes ont la moelle de leur patries respectives, mais il leur manque encore le cerveau de leur patrie commune. Alors que dans le domaine scientifique on peut dire que notre « peau » n’est même plus la Terre, mais l’Univers, dans le domaine social nous en sommes toujours à la revolte des membres contre l’estomac, c’est-à-dire assez loin d’une individuation correspondante.

Mais cette dernière vient à grands pas, car il faut qu’elle vienne. Elle est dans l’ordre d’une évolution fatale des esprits par rapport à la leçon toujours plus aiguë des phénomènes économiques. D’ailleurs, tous les organismes vivants ne commencent-ils pas par la moelle et le réflexe avant d’arriver à l’encéphale et à la raison. Cet état médullaire est frappant dans les rapports actuels de nation à nation. Ainsi quand la botte italienne veut exprimer qu’elle a « l’estomac dans les talons » faute de nourriture, elle lance un coup de pied dans l’Espagne (en éraflant la Tunisie) pendant que ses journalistes « crachent sur la France ». Des réactions aussi primitives se produisent au laboratoire lorsqu’on excite la peau d’un batracien en expérience : il rue et il crache. Dans le même ordre d’idées, si vous éperonnez un porc-épic, il se contractera sur sa circonférence en attendant des jours meilleurs. C’est à peu près ce que fait la France avec son empire lorsque la botte romaine vient lui chatouiller le nombril.

Socialement, donc (ou mieux intersocialement), nous en sommes à l’ataxie. Un ataxique est un monsieur qui voit avec désespoir ses membres s’entre-choquer et se meurtrir parce qu’il lui manque les moyens techniques, anatomiques ou physiologiques, de la coordination. C’est exactement le cas du Monde actuel.

Alors, de quels moyens techniques manquons-nous ? N’y a-t-il pas la coordination des trusts, avec leurs « nerfs » sensitifs et moteurs allant des coffres-forts aux gouvernements et vice-versa ? Mais si coordination il y a, on ne voit pas très bien l’utilité d’un cancer coordonné au sein d’un organisme qui ne l’est pas. Le cancer n’est ni chair ni cerveau. C’est de la pourriture dynamique dont la vitalité se suicide au fur et à mesure qu’elle tue.

Le moyen technique qui manque aux hommes du siècle présent est le même que celui qui a fait évoluer ceux des siècles passés. C’est un vocabulaire, avec des images à la mesure exacte des faits objectifs. La Révolution est là, et c’est parce qu’elle est là que le vocabulaire de l’Abondance est censuré de partout, malgré les efforts de nos groupes encore minoritaires (pas pour longtemps). La coordination des perceptions économiques par les chiffres des bilans et des dividendes a permis le développement de la société échangiste et capitaliste. Chiffres et bilans étaient le vocabulaire des postes de commande, vocabulaire de spécialistes et d’initiés, ardu, rébarbatif pour les autres, et qui conférait à une minorité la puissance consciente et le commandement. Désormais, la coordination des conceptions économiques par le vocabulaire de l’Abondance donnera à ceux qui l’emploieront la conscience de leur puissance et le commandement de leur conscience. Ce vocabulaire, tout le monde peut le comprendre, et c’est là une seconde révolution. Il suffit seulement, maintenant, de pouvoir le faire connaître. Tout s’éclaire lorsque, au lien d’appeler le malaise mondial « Fascisme » ou « Démocratie » selon que la fièvre prend la forme d’une excitation délirante ou d’une anémie syncopale, on adopte le terme lumineux de « crise de l’Abondance », qui révèle du même coup la cause du mal et son remède nécessaire. Alors, et alors seulement, on pent parler d’agir et d’avoir foi dans la vie. Car la vie n’est pas qu’un instinct, elle est aussi une intelligence des instincts. Et c’est cela qui nous empêche d’applaudir aux mascarades éréthiques, sinon hérétiques, de Mussolini et d’Hitler. Ils ne représentent ni la vie qui doit être, ni la vie qui sera et que tous les peuples désirent.

La Médecine a fini par vasouiller à force de percevoir les symptômes de trop de maladies. Elle commence à se renouveler maintenant qu’elle s’efforce de mieux concevoir les causes de la santé. Or, les conceptions de l’Abondance sont au corps social ce que la médecine causale est au corps humain.

Il s’agit donc d’un passage du stade réceptif et sentimental au stade conceptif et rationnel. La dispersion doit céder le pas à la coordination.

Ceux qui nous proposent le choix entre le « Fascisme » et la « Démocratie » sont tout juste dignes de la quatrième page de leurs journaux. Ils nous disent à peu près ceci : « Voulez-vous crever d’un cancer ou d’anémie pernicieuse ? » Ils oublient seulement que le cancer lui-même comporte les prémisses d’une anémie pernicieuse. Ce sont des rebouteux et des « faisans ».

Les Français, qui par ailleurs sont si « moyens » ont parfois quelque supériorité. C’est quand ils font la « moyenne » des choses dans leur esprit.

Or, nous autres du D.A.T. ou des J.E.U.N.E.S., qui sommes Français, et très moyennement Français dans la proportion où nous nous estimons citoyens du Monde, nous proclamons l’avènement de la « moyenne » idéologique dans le Monde Social, grâce au vocabulaire de l’Abondance.

L’inégalité de potentiel ou de masse des peuples ou des races, loin de servir de point d’appel aux instincts de destruction, ne peut désormais que servir les forces de synthèse ou de création, car tout le monde est « dans le même sac ».

Suivons l’exemple magnifique de la science et de la technique où bat déjà notre cérébralité commune. Cette dernière nous donne une personnalité aussi vaste que l’Univers, de gré ou de force, consciemment ou inconsciemment.

Regardez donc dans un oculaire de microscope ou de télescope ! Vous y constaterez la fraternité des choses sous la forme d’une « moyenne » idéologique. En effet, dans le champ de ces appareils d’analyse, les soleils, qui sont immensément grands, se montrent à la mesure des mouvements browniens qui sont immensément petits. Une image moyenne, véritable formule optique, préside à des valeurs qu’il y a 100, ans on aurait crues inconciliables. De tels rapprochements, si denses de possibilités créatrices, ont dû attendre pendant des siècles la venue des instruments d’optique modernes.

Parallèlement, sur le plan social, ces instruments d’analyse existent. Ce sont les « théories » de l’Abondance. Il suffit d’y jeter un coup d’oeil pour saisir la transition qui unit, dans notre esprit, l’optique microscopique de la rareté actuelle aux impératifs planétaires d’une organisation de l’Abondance.

C’est pourquoi, malgré l’impudique cacophonie de nos maitres-brailleurs, nous continuons d’avoir la foi.