Offensive libérale
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Publication : janvier 2002
Mise en ligne : 27 janvier 2007
A l’approche des élections présidentielle et législatives du printemps prochain, une nouvelle offensive “libérale”, propulsée par la Droite et le Centre, relayés sinon précédés par le Medef, va déferler sur la France. Au menu : la réforme des retraites, le démantèlement de la Sécurité sociale, la baisse des impôts, le déficit budgétaire,... en bref, moins d’État et plus pour l’entreprise privée. Quant à la Gauche, pour faire “moderne”, elle se laisse lentement gagner par un libéralisme né il y a plus de deux siècles, dans un monde de rareté !
Avec la remise au Premier ministre du premier rapport du Conseil national des retraites, la réforme des régimes de retraite va redevenir d’actualité. Depuis une quinzaine d’années, en effet, l’opinion publique a été largement alertée des éventuelles difficultés financières que pourraient connaître les divers régimes. En outre, les mesures déjà prises, notamment en 1993, ont été présentées comme des moyens de faire face rapidement à des déséquilibres imminents, mais qui s’avéreraient insuffisantes pour résoudre les problèmes de long terme. Pas étonnant donc que le Premier ministre du moment, l’inénarrable Balladur, vienne de se fendre d’un nouvel article sur le sujet intitulé “Retraites : le temps du courage” [1]. Soulignant avec sa condescendance habituelle « l’initiative heureuse, copiée d’ailleurs sur maints exemples étrangers » qu’a été la création du Conseil national des retraites, il nous avertit : « Le dépôt de ce rapport a simplement pour effet de mettre un terme au temps de l’expertise et de la réflexion et de sonner l’heure de l’action. Celle-ci impose une claire concience des priorités. Elle nécessite que l’on se défie des fausses solutions. Elle implique, de la part des pouvoirs publics, courage et détermination ». Fermez le ban ! Il marque par cette introduction que lui, Balladur, est un homme courageux puisque, en 1993, lorsqu’il était Premier ministre, il a eu le courage de s’attaquer au problème des retraites en imposant l’allongement des cotisations du régime général à 40 ans et le calcul de son montant sur les 25 meilleures années d’activité. Il met en garde contre les “fausses solutions”, sous-entendant que lui connaît les bonnes. Son éminence a la science infuse ! Ce qui ne l’empêche, d’ailleurs pas de se gourrer complètement, comme tant d’autres, lorsqu’il ramène le problème des retraites à un problème démographique : « Aujourd’hui, il y a encore davantage de cotisants que de retraités, et le rapport s’établit à 1,7. Si aucune mesure n’est prise, ce rapport sera, tous régimes de retraite confondus, en constante dégradation et, à terme, il n’y aura plus qu’un cotisant pour un retraité. Cela veut dire que, même dans les hypothèses de croissance et d’évolution de l’emploi les plus favorables - et l’on sait ce que vaut l’aune de telles hypothèses - le déséquilibre financier de l’ensemble des régimes de retraite apparaît en 2005, s’installe jusque vers 2010 et se creuse rapidement ensuite ». Eh bien, il a tout faux, Balamou ! Faux, parce que le “ratio de dépendance démographique” qu’il considère n’a pas de sens en ce qui concerne les retraites et qu’il faut, à sa place, utiliser le “ratio de dépendance économique” [2] ; faux parce qu’il oublie le rôle de la productivité et l’effet de l’augmentation de la production ; faux enfin parce que, quel que soit le système de retraite, les richesses réelles que consommeront demain les retraités devront bien être prélevés sur la production disponible à ce moment là [2]. Ce sont toujours les actifs qui produisent les revenus qui font vivre les inactifs.
Mais notre Balladur ne s’arrête pas à ces détails : il s’indigne maintenant de ce que la durée des cotisations des régimes de fonctionnaires ne soit pas alignée sur celle des régimes du privé et que le montant de leur pension [3] soit indexé sur les traitements des agents en activité alors que les retraites du privé sont indexées sur l’évolution des prix. Il est jobard, Edouard ! : c’est quand même lui qui, courageusement, a pris ces mesures rétrogrades à l’encontre des régimes généraux au lieu de les aligner sur les régimes de fonctionnaires. Ce qui aurait été un vrai progrès social. Plus fort encore : il pense qu’il faudra sans doute porter à 42 ans cette durée minimale de cotisation et, comble de l’audace, « sans modifier l’âge à partir duquel les salariés peuvent demander à faire valoir leurs droits à la retraite ». Comme c’est gentil quand on sait que les entreprises mettent en pré-retraite des salariés de plus en plus jeunes. Autrement dit : vous pourrez prendre votre retraite à 60 ans (ou avant), mais vous ne bénéficierez que d’un taux réduit parce que vous n’aurez pas cotisé 40 ou 42 ans. C’est autant de gagné pour les entreprises. Merci, M. Balladur ! En fait, il est vain de « s’interroger sur des évolutions des conditions d’âge ou de durée d’activité pour l’ouverture du droit à la retraite, sans, dans le même temps, prendre en compte le fait qu’aujourd’hui plus d’une personne sur deux est inactive au moment où elle demande à bénéficier de sa pension de vieillesse » [4].
Monsieur Balladur, vous n’êtes pas crédible, pas plus que tous ceux de vos amis qui, benoîtement, viennent nous parler de modifier les régimes de retraites pour éviter les inégalités entre générations. Il s’agit là encore d’une entreprise hypocrite, destinée à inquiéter les gens et les précipiter vers des régimes privés d’assurance-retraite [5].
En réalité, « les inégalités entre générations ne viennent pas du “problème” des retraites mais de l’emploi. C’est la situation de chômage de masse qu’a connu l’Europe pendant plus de vingt ans qui a contribué à accroître les inégalités de destin entre les générations, certaines ayant eu plus de difficultés que d’autres à s’intégrer par le travail. Il ne faudrait pas que, sous prétexte d’équité intergénérationnelle, nous réglions cette question par l’absurde, en laissant se dégrader le sort relatif des retraités. Or c’est ce que nous sommes en train de faire ou de laisser faire, en ayant accepté que les retraites ne soient indexées que sur les prix et non plus sur les salaires. Nous avons probablement oublié en chemin que nous sommes tous de futurs retraités » [6].
La Sécurité sociale
Dans le même temps, le Medef se lance dans une vaste campagne pour « clarifier la Sécu en l’ouvrant au privé ». Il s’agit ni plus ni moins de mettre fin à la Sécurité sociale, entité publique gérée par les partenaires sociaux. « Selon le Medef, le paritarisme ne se justifie plus que lorsque le lien au contrat de travail est établi : pour la couverture du risque des accidents du travail et des maladies professionnelles, et pour les retraites. Dans ce cas, le financement passe toujours via les cotisations sociales. En revanche, l’assurance maladie (qui est devenue “universelle”) et la famille (qui est du ressort de l’État) n’ont plus vocation à être financées par des cotisations sociales mais par l’impôt » [7]. Pour cela, le Medef propose la création d’une CSG déductible, que l’État pourrait augmenter ... sans peser sur le coût du travail. (Oh les bons apôtres !). Grâce au produit de ce nouvel impôt, le Parlement définirait les grandes lignes de la santé publique et le contenu d’un panier de soins remboursé à 100%. Et devinez comment on se répartirait les rôles ? - C’est très simple : ce qui est rentable au privé, ce qui ne l’est pas au Public ! C’est ainsi que la recherche, la formation des professionnels de santé, etc. seraient assurés par l’État tandis que la “distribution” des soins serait confiée à de « véritables opérateurs de soins », concurrents, qui pourraient être créés par des mutuelles, des instituts de prévoyance, des organismes publics et « pourquoi pas des entreprises », explique Denis Kessler, vice président du Medef et maître d’oeuvre du projet. Chaque opérateur pourrait “acheter” des soins à des médecins libéraux, des laboratoires, des hôpitaux, à l’industrie pharmaceutique et privilégierait la constitutions de réseaux. (Bonjour la liberté de choix du praticien si chère à nos libéraux !). Les entreprises choisiraient leur opérateur après consultation de leurs salariés. (Le projet ne dit rien des personnes qui voudraient s’affilier seules, sans passer par une entreprise, à ces opérateurs). Selon le Medef, on arriverait ainsi à une optimisation des coûts. En effet, comme ces opérateurs seraient financés en fonction du nombre d’assurés, « ils prendront donc soin de ne pas dépenser plus que leur enveloppe ». Comment ? En imposant des contraintes fortes aux médecins ou en rationnant les soins ? On ne le dit pas. Pas plus qu’on ne nous dit comment ces opérateurs privés, mis en concurrence [8], feront mieux que la Sécu ? On sait en effet que, selon la FFSA [9], les frais de gestion des assureurs automobiles privés atteignent 20% des primes, soit quatre fois plus que les frais de gestion de la Sécu ! Le Medef oublie aussi de nous dire qu’aux États-Unis, pays où le secteur privé a le plus d’emprise sur l’assurance maladie, les dépenses de santé, d’ailleurs très inégalement réparties, atteignaient, d’après l’OCDE, 12,9% du PIB en 1998 contre 9,4% en France.
Mais comment croire en la sincérité de telles propositions quand on sait que Denis Kessler est aussi (et surtout) le président de l’Association des assurances françaises ?
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Alors, retraites, Sécurité sociale ?
- Quand on vous en parlera dans les prochaines campagnes électorales, souvenezvous de ce qui précède et dites vous qu’il est urgent de n’y rien changer si ce n’est pour ramener à 37,5 années la durée de cotisations du régime général et des régimes assimilés.
[1] Le Monde, 12 décembre 2001.
[2] La Grande Relève, N° 989, juin 1999.
[3] Les pensions offertes sont calculées comme un salaire continué. Elles sont financées par le budget de l’État qui intervient en complément des retenues pour pension auxquelles sont soumis les traitements des fonctionnaires.
[4] Conseil national des retraites, décembre 2001.
[5] « Cette inquiétude, en outre, a souvent été véhiculée non seulement dans le cadre habituel de la presse et du débat public, mais par des courriers personnels via banquiers ou assureurs, qui ont régulièrement assis la promotion de produits d’épargne sur un argumentaire faisant appel à l’incertitude sur les retraites. » CNR, déc.2001
[6] Jean-Paul Fitoussi, Le Monde, 6/3/2001.
[7] La Tribune, 21 novembre 2001.
[8] ls auront, entre autres, des frais de publicité.
[9] FFSA = Fédération française des sociétés d’assurance, dont Denis Kessler est le président.