Lettres ouvertes à deux candidats à la députation
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Publication : mai 2002
Mise en ligne : 20 janvier 2007
C’est maintenant Roland Poquet, ancien Directeur de Scène Nationale, qui essaie de faire entendre à deux de ses amis, futurs candidats aux élections législatives, ce qui nous paraît être la voix de la raison :
Chère amie,
Je suis sans nouvelles de vous depuis quelques mois, mais je sais vos occupations actuelles et surtout votre préoccupation du moment : vous êtes candidate aux élections législatives du mois de juin prochain. Cette décision vous honore. Vous êtes jeune et de surcroît intelligente, passionnée et intègre, trois qualités que j’ai pu apprécier lors de notre récente collaboration dans la même Entreprise. Vous avez le sens du devoir public. Vous appréciez les valeurs défendues par votre Parti, attaché à faire naître les conditions d’un développement durable pour l’humanité. Votre culture économique tranche avec celle de vos co-listiers ou adversaires : vous avez beaucoup lu Jacques Duboin, vous avez exposé les thèses de l’économie distributive à Dominique Voynet alors que vous faisiez partie de son secrétariat et, à deux ou trois reprises, vous avez fait bénéficier La Grande Relève de vos réflexions sous forme d’articles mémorables.
Il y a quelques mois, vous m’avez demandé de vous envoyer quelques notes destinées à alimenter le chapitre “culture”’un des points faibles, selon vous, du programme de votre Parti. Je vous ai envoyé quelques réflexions générales, dont la banalité a dû vous consterner. Je vous avouerais que je l’ai fait sans grande conviction et pour cause : ce qui avait mobilisé les esprits en 1981 n’est plus à l’ordre du jour vingt ans après - le rouleau compresseur du tout-économique a éliminé toute réflexion sur notre devenir culturel - et seuls quelques cinéastes récalcitrants se sont émus de la suppression de l’exception culturelle française, annoncée en décembre dernier par Jean-Marie Messier, notre futur Berlusconi.
Au delà de ces généralités, j’aimerais revenir plus en détails sur une réflexion que je vous ai soumise et qui me tient à coeur : la relation entre travail et temps libre qui sous-tend le développement culturel. Tout au long de la campagne pour les présidentielles, vous avez remarqué que le cheval de bataille de nos candidats n’était plus tant l’emploi que la sécurité ; il risque d’en être de même pour les législatives. La conséquence en est redoutable : en répercutant à l’envi cette nouvelle donne, les médias finissent par faire admettre à l’opinion la pérennité d’une zone de pauvreté concernant plusieurs millions d’individus. Un examen attentif révèle cependant, chez trois candidats, le souci de mettre en place un dispositif, appelé compte-formation, qui permettrait à tout citoyen, à partir de 18 ans, de se former tout au long de sa vie, qu’il connaisse ou non une ou plusieurs périodes de chômage. Noël Mamère garantit un droit de tirage de 60 mois de formation professionnelle. Jacques Chirac et Lionel Jospin vont plus loin et proposent tous deux - qui a copié sur l’autre ? - un compte-formation tout au long de la vie active. Loin de moi l’idée de nier la nécessité d’une formation pour tout un chacun. Je ferais remarquer cependant qu’il s’agit encore et toujours, dans l’esprit des trois candidats, de formation professionnelle, exclusivement. L’erreur est dans l’obsession maladive « de former des garçons et des filles dans la seule perspective du travail qui ne leur sera pas demandé, de la situation qu’ils n’obtiendront pas, de l’emploi qui ne leur sera jamais offert ». Ces quelques lignes que j’emprunte à un ouvrage que vous avez résumé en son temps [1] dans La Grande Relève renvoient étrangement à un article édifiant intitulé “Nicole” que la GR. a fait paraître récemment [2]. Car de deux choses l’une. Ou bien nous souhaitons maintenir une société reposant sur le travail à perpétuité - c’est apparemment l’attitude adoptée par nos trois candidats. Ou bien - et je ne résiste pas au plaisir de citer à nouveau Renaud Camus - nous faisons partager notre conviction que « le loisir sera la grande affaire du monde qui s’entrevoit, loisir de voir et de savoir, d’éprouver et de s’éprouver, de connaître et de naître indéfiniment à soi-même. À nous d’éviter qu’il soit simple oisiveté, et de garantir qu’il n’est pas désoeuvrement et ennui, voire violence ». Cette dernière phrase, à elle seule, suffit à expliquer les désordres qui accablent chaque jour davantage notre société. Dans cette seconde hypothèse, la façon d’envisager la relation entre travail et temps libre changerait radicalement. D’autant plus qu’elle trouverait son application dès l’école élémentaire et non à partir de 18 ans seulement : conforter les apprentissages premiers ( lire, écrire, compter ), multiplier les filières et les options, mais surtout penser à former des êtres qui sauront quoi faire de leur temps libre. « En faisant des enfants un rouage de la machine économique, nous fonçons vers un enfer créé par nous-mêmes » nous prévient le réalisateur de cinéma Hayao Miyazaki. Cette formation ainsi conçue dès l’école élémentaire se développerait sans interruption pendant l’adolescence et l’âge adulte. Elle irait tout naturellement dans le sens des mesures que nous préconisons dans ce mensuel :
1. La formation tout au long de la vie est un nouveau droit.
2. Elle permet d’accorder à chacun un revenu qui ne correspond pas à un emploi précis : notre marche légendaire vers la rupture du lien entre l’emploi et le revenu marque encore un point.
3. Elle favorise l’émergence d’une vie professionnelle où périodes de formation alterneraient avec périodes de travail et d’activités ; en d’autres termes, toute interruption d’emploi, volontaire ou involontaire, dans la vie active mettrait le citoyen en situation de suivre une formation.
4. Conséquence inattendue : toute personne utilisant volontairement son compte-formation cède momentanément son emploi à une autre personne en recherche d’emploi et provoque ainsi une réduction du chômage.
5. La formation au sens où nous l’entendons nous introduit peu à peu à une société aux loisirs enrichis et constitue le seul antidote à la barbarie qui nous guette.
Vous aurez compris, chère amie, qu’en reliant travail, formation et temps libre, je me suis efforcé de me situer au coeur de votre questionnement : quel programme culturel pour les Verts ? À vous d’en apprécier ou non la pertinence.
Vous m’avez dit que votre adversaire principal appartenait au groupe “démocratie libérale” : votre conviction en faveur d’une démocratie libérée fait que le duel risque d’être somptueux. Tous mes voeux vous accompagnent.
Sincèrement vôtre.
***
Monsieur le Député et cher ami,
Lorsque, jeune professeur d’éducation physique, tu me chronométrais sur 60 mètres pour estimer mes chances de participation au championnat universitaire d’athlétisme, je ne me doutais pas que tu serais un jour député et vice-président de l’Assemblée Nationale. Ton combat politique a toujours été conforme à la ligne que tu t’étais tracée. Je dirais même que tu te situes plus que jamais dans la frange la plus déterminée du Parti auquel tu as consacré toute ton énergie, le Parti Communiste Français. Tu t’es donné comme devoir de poursuivre l’action engagée par tes prédécesseurs : comme eux, tu as mis tout en oeuvre pour préserver la dignité des mineurs de charbon du Nord Pas de Calais et, par extension, de tous les travailleurs.
Nous ne nous sommes jamais perdus de vue, mais pour la première fois tu m’as accordé une heure de chaleureuse discussion. Tu as convenu toi-même que ce début de XXIème siècle offrait matière à de multiples interrogations et j’ai saisi cette opportunité pour aborder les problèmes qui me tiennent à coeur : la place du travail dans la société, la distribution des revenus et le rôle de la monnaie.
Je n’ai pas eu l’outrecuidance de te décrire la mise à mal du travail dans notre Région, tu en as connu de près les innombrables victimes dans chaque secteur concerné : charbon, métallurgie, textile, verrerie... Sans espoir de retour. Le résultat est affligeant : des taux de chômage atteignant parfois 20 % ! Malgré ton attachement à la notion de travail, j’ai cru deviner que tu étais moins assuré que nos libéraux du retour du plein emploi. Avec prudence, j’ai avancé l’hypothèse qu’il faudrait peut-être un jour ne plus attendre de l’emploi qu’il assure la distribution des revenus si l’on voulait supprimer la misère ; que des revenus de plus en plus nombreux et conséquents étaient distribués indépendamment de tout travail fourni et que cela provoquerait à terme la rupture du lien emploi-revenu ; qu’un revenu minimum garanti accordé à tout citoyen serait une première mesure souhaitable... Ton regard s’est peu à peu voilé comme si le fait de ne plus accorder au travail la place importante qu’il occupe dans ton esprit tournait au crime de lèse-majesté. J’ai abandonné ce terrain glissant, avec le regret de ne pouvoir développer davantage cette réflexion. J’avais envie de te dire qu’en ce temps de détresse pour beaucoup de ressortissants du monde ouvrier, victimes des licenciements, du travail précaire ou à temps partiel, des délocalisations..., la préservation de la dignité de tout un chacun passait par le droit de détenir une parcelle de la richesse créée par eux-mêmes, et que c’est seulement quand cette part de richesse est obtenue que le travail à accomplir est réparti entre tous. Qu’il n’est en aucun cas question de supprimer le travail qui accorde à l’homme une activité à laquelle il aspire et définit une bonne part de sa culture, mais d’inverser les termes : non plus un travail comme condition sine qua non de la dignité, de l’activité et de la culture, mais d’abord et avant tout un revenu pour pouvoir ensuite exercer pleinement et sereinement les activités nécessaires au développement harmonieux de nos sociétés. Avec le recul, j’estime que j’ai bien fait de n’être pas allé jusqu’au bout de mon exposé car tu risquais de t’écrier : mais c’est du communisme ! Tu vois dans quel embarras tu nous aurais mis tous les deux.
J’ai donc abordé, ainsi que je me l’étais promis, le problème de la monnaie et, contre toute attente, j’ai eu l’impression de fouler un terrain moins mouvant. Mieux même, à l’évocation des actions de l’association Attac, tu as avoué ta sympathie pour cette façon de contrecarrer la spéculation, le pouvoir des financiers, le piège de Maastricht... J’ai alors saisi l’occasion d’intervenir pour réclamer l’abandon d’une monnaie circulante, thésaurisable, spéculative, au profit d’une monnaie s’annulant lors du premier achat, seule susceptible de contrecarrer efficacement la règle du jeu prônée par le néo-libéralisme ... Tu as froncé les sourcils. Je t’ai alors indiqué que cette mesure était portée par diverses écoles de pensée dont la plus représentative était celle de Jacques Duboin. Ton visage s’est alors éclairé et tu m’as dit : « mais ce mouvement existait déjà avant guerre ? » Je n’ai pu qu’approuver, ravi que ta culture politique et économique fût aussi large. Je t’ai laissé des documents. Et nous avons pris congé, assurés l’un et l’autre que cette première réflexion aurait des suites, une fois les élections législatives passées.
Sois assuré, Monsieur le Député et cher ami, de mes encouragements les plus sincères pour cet examen de passage des 9 et 15 juin prochains.
Très cordialement.
[1] Qu’il n’y a pas de problème de l’emploi, Renaud Camus, éd. P.O.L , GR 947, 1995.
[2] Nicole, GR 1016, 2001.