Incohérences
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Publication : août 2002
Mise en ligne : 6 janvier 2007
Il paraît difficile d’affirmer que notre système économique et financier progresse dans la sérénité, les récentes affaires Enron et Vivendi sont là pour nous le rappeler. Nous assistons plutôt à une marche forcée, menée à l’aveuglette, avec pour seuls objectifs la rentabilité et le profit : ce serait, dit-on, le gage de notre liberté ...Que ce système, structurellement incohérent, apporte chaque jour son lot d’incohérences n’est pas pour nous étonner.
Le Smic augmentera de 2,3 % et ne bénéficiera pas du “coup de pouce” espéré. Par contre les revenus des chefs d’entreprise ont progressé de plus de 30 % en 2001. Place aux chefs et à ceux qui entreprennent ! Les smicards, quant à eux, ne représentent que 11% des travailleurs : à peine plus nombreux que les chefs d’entreprise. Problème d’arithmétique à la portée d’un smicard : J.M.Messier ayant été “remercié” (et non remessié) moyennant un “golden parachute” estimé à 20 millions de dollars (pourquoi des dollars et non des euros ?) combien touchera un smicard à mille euros nets par mois, “balancé” dans la trappe à chômage ?
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À propos du Smic, la bataille ne fait que commencer entre les représentants du patronat et ceux des salariés. Chacun connaît les données du problème : il existe des Smic à 39 heures et des Smic à 35 heures et, à l’intérieur de chaque catégorie, trois subdivisions : par exemple, et pour faire simple, les Smicards passés aux 35 heures en 1999 perçoivent 1.100,67 euros par mois (soit 7.219,92 F), ceux qui y passent à partir du ler juillet 2002 toucheront 54 euros de plus (soit 7.574 F) et un salarié qui débute à 35 heures recevra, lui, l.035,88 euros (soit 6.795 F brut). Ah ! j’oubliais : pour que tout le monde s’y retrouve, on a créé une garantie de rémunération mensuelle qui comble la différence entre le salaire à 35 heures et le salaire à 39 heures. Ouf ! Je ne suis pas certain d’avoir bien compris, mais si je rencontre Martine je lui demanderai de m’expliquer. Lui, le Smicard, il a compris qu’il était, de toutes façons, victime du phénomène dit du “sandwich”. Ce qu’il ne parviendra jamais à avaler (c’est le cas de le dire) c’est d’être, pour longtemps encore, la tranche de jambon coincée entre deux tranches de pain. La logique voudrait que le Smic soit revalorisé de façon substantielle, 11% selon la CGT (légitime poussée vers le haut), mais les petites entreprises menacent de fermer leurs portes, dit-on, si les charges salariales augmentent, la concurrence venant sanctionner une hausse des coûts du travail (légitime poussée vers le bas). Le lecteur aura compris que les deux tranches de pain symbolisent ces deux “poussées légitimes” contraires. Voilà ce qui arrive quand on veut humaniser une économie inhumaine tout entière asservie à la notion de rentabilité. En économie distributive, les revenus n’ayant plus de liens avec l’emploi, et les prix déconnectés des coûts variant selon la loi toute simple de l’offre et de la demande, le problème ne se pose plus. Peut-être est-ce plus cohérent ?
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Toujours à propos des bas revenus, certains concitoyens déplorent de voir les membres d’une même famille (cousins compris) vivre ensemble dans le même logement et, grâce à l’accumulation des aides reçues par chacun d’entre eux, recevoir au total un revenu plus élevé que si l’un de ses membres travaillait et percevait le Smic. Raison de plus pour augmenter le Smic et, dans le même temps, remplacer la multitude de ces aides par un revenu minimum garanti accordé à chacun et modulé selon un certain nombre de critères. Ah ! oui, mais “les petites entreprises menacent de fermer leurs portes si… (relire le chapitre précédent).
Conclusion : si les cinq membres d’une même famille (je cite un cas précis que je connais bien) perçoivent, grâce à des aides accumulées, un revenu global légèrement supérieur au revenu de l’un d’entre eux qui travaillerait au Smic, je dis très nettement : tant mieux :
• 1. Ils évitent de justesse la misère : 1.067 euros (7.000 F) d’aides pour 5 personnes pendant un mois leur permettent à peine de survivre.
• 2. Ils ne travailleront plus ? — la belle affaire ! La plupart de ces concitoyens ne sont déjà plus aptes à accomplir un travail tant soit peu régulier (je n’ose pas dire qualifié). Ce qui ne veut pas dire qu’il faut les abandonner à leur sort.
• 3. Un revenu minimum garanti accordé à chacun mettrait à leur disposition un revenu global supérieur à 7.000 F.
• 4. Là encore, nous touchons du doigt les incohérences et les effets pervers de notre système prix-salaires-profits. Quand 2,2 millions d’emplois disparaissent, c’est toute une chaîne économique et humaine mise à mal : mauvaise distribution des revenus, ratés dans l’assiduité au travail, désorganisation des structures familiales et professionnelles, porte ouverte à l’oisiveté et au mal-être… tous ces phénomènes ayant pour conséquences dramatiques la perte du respect d’autrui et l’apparition de l’insécurité et de la violence. Alors on prend l’effet pour la cause et on augmente les mesures de répression. Jusqu’où poussera-t-on l’aveuglement ?
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Dans la France de 2002, la croissance sera de l’ordre de 1,3%, avec promesse d’un retour aux 3% en 2003. ( Qui peut l’affirmer ? Soit dit en passant, personne). Si ces 3% n’étaient pas atteints, ce serait catastrophique : on ne pourrait plus baisser l’impôt sur le revenu en 2003, les recettes fiscales diminueraient sensiblement et, en conséquence, on aurait beaucoup de peine notamment à sauver les salariés du secteur public - vous savez, ceux qui sont en surnombre et qu’on ne remplacera pas quand ils partiront à la retraite : les médecins et les infirmières des hôpitaux, les magistrats, les enseignants, les agents des secteurs sociaux et des administrations diverses … Au fait, qu’est ce qui empêche la croissance de passer de 1,3% à 3% et même à 5% ? Nous ne manquons ni de matières premières, ni d’énergies, ni de main-d’œuvre. Les revenus du travail et du capital seraient-ils insuffisants pour absorber la production ? Pourtant, selon la doctrine libérale… Alors, pourquoi s’accrocher à un système totalement incapable de réguler sa croissance ? De distribuer correctement sa production ? Que valent ces discours de spécialistes qui ne savent rien de rien ? Quand se décidera-t-on à étudier les moyens de parvenir à un système économique et financier plus cohérent ?
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Comment résoudre ce casse-tête : plus de 30% de jeunes, sans qualification et qui ont entre 16 et 22 ans, sont au chômage ? Solution du gouvernement Jospin (pour tous les jeunes) : l’embauche de chaque jeune, en CDI ou en CDD, déclenche automatiquement une participation financière substantielle de l’État. Solution du gouvernement Raffarin : les emplois jeunes précédemment créés par le gouvernement Jospin ne seront pas pérennisés (à l’exception de certaines associations) et la prise en charge en CDI de jeunes sans qualification sera effectuée par toute entreprise de moins de 250 salariés qui bénéficiera en retour d’une exonération de charges, ce qui représente, comme la solution précédente, un coût pour l’État, beaucoup moindre cependant. Question : combien d’entreprises à la recherche de performances économiques embaucheront des jeunes sans qualification ? Quelle cohérence trouve-t-on dans une mesure qui, dans le même temps, propose un contrat à durée indéterminée et rompt celui-ci quand le jeune atteint ses 22 ans ? Remarque : quand une bouteille est pleine, il devient difficile de vouloir à tout prix la remplir davantage : quand donc cessera-t-on de régler le problème de l’emploi en injectant de force du travail dans la machine économique qui le rejette ? Alors qu’il faut mettre le problème cul par dessus tête, d’abord régler le problème des revenus, et ensuite seulement celui de l’emploi. Gageons qu’un futur gouvernement imaginera une troisième solution, tout aussi inefficace dans la réduction globale du chômage.
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« L’été et les 35 heures aggravent la situation des hôpitaux publics » lit-on dans la presse. Pourquoi l’été ? N’était-il pas prévisible que l’été reviendrait chaque année ? Pourquoi les 35 heures ? Ne devaient-elles pas relancer l’emploi ? On reproche à la mesure des 35 heures d’avoir été bricolée. Mais quelle mesure n’est pas bricolée (cf. le paragraphe précédent sur l’emploi des jeunes), c’est-à-dire lancée comme une bouée de sauvetage alors que la distance entre le navire et les naufragés ne fait qu’augmenter ? Pour en revenir à la détresse des hôpitaux publics, n’est-elle pas un exemple de plus qu’il y a incompatibilité de plus en plus grande entre un système économique qui ne vise qu’à la rentabilité et une revendication légitime de tous les citoyens à voir leurs soins pris en charge, ce qui ne sera possible que dans une économie qui ne se donne plus comme objectif la rentabilité et le profit ? Car enfin, tout existe pour assurer des soins efficaces à l’ensemble de nos concitoyens : des matières premières, des entrepreneurs et des ouvriers pour construire et équiper des hôpitaux, et, au moins pour l’instant, des chirurgiens, des médecins, des infirmières et tout un personnel extrêmement dévoué pour les faire fonctionner. Que manque-t-il ? Des moyens financiers distribués par la puissance publique ! Mais le secteur de la santé n’étant pas rentable, nous manquerons de plus en plus d’hôpitaux et de personnel hospitalier. Nous pouvons, hélas, prédire que cette situation ira en s’aggravant.
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Pour la première fois depuis 1920, on assiste à une baisse de la Bourse américaine alors que l’économie redémarre. C’est cohérent tout cela ?
Bon nombre de salariés-actionnaires du groupe Vivendi vont perdre à la fois leur emploi et leurs économies. Une perspective tristement cohérente.