Instituts de santé

Médecine sociale
par  H. JAWORSKI
Publication : 1er novembre 1935
Mise en ligne : 10 décembre 2006

Soixante siècles d’habitudes de Ia morale de l’intérêt, dans un monde où de plus en plus tout se vend et tout s’achète, nous empêchent de voir toutes les possibilités de vie heureuse que nous permet la Planète. On peut être sûr que la plupart de nos maux viennent de nous-mêmes : il est vrai, particulièrement de notre ignorance.

Une des causes les plus terribles et les plus fréquentes de souffrance, c’est la maladie. Or, la plupart des maladies sont évitables. Mais, dominés par l’idée de gain et de profit, c’est cahin-caha que les hommes luttent contre la douleur et les maux qui les accablent. Or, dans une société bien organisée, la conservation de la santé doit être un des soucis primordiaux. Aussi l’organisation médicale intéresse tout le monde. Presque tous les défauts actuels seraient corrigés par une fonctionnarisation bien comprise, mais comme cette idée est très impopulaire dans le Corps médical français, il faut insister un peu.

En premier lieu la pléthore. Les médecins se plaignent qu’il y ait trop de confrères. Cette pléthore est due surtout à une mauvaise répartition ; trop dans les villes et pas assez dans les campagnes. La fonctionnarisation corrigerait déjà ce désordre en faisant une distribution plus normale et en suivant les goûts de chacun dans la mesure du possible. En deuxième lieu, il faut se rendre compte que cette pléthore est due aussi à des raisons d’un autre ordre. Beaucoup de jeunes gens n’entrent pas dans la médecine par une vocation irrésistible, mais par des considérations sociales ou économiques qui n’existeraient plus dans la nouvelle société. A tort le public croit « que les médecins gagnent beaucoup d’argent »...

Un deuxième argument, c’est celui de la dignité et de l’indépendance du médecin. Ces arguments justes seront respectés si la fonctionnarisation fait le médecin-magistrat, avec toutes les prérogatives, tous les honneurs dus à ce titre. Aucune ingérence de l’Etat dans les questions purement techniques qui ne peuvent être d’ailleurs résolues que par les médecins eux-mêmes. Dans les conflits entre médecins, seulement les tribunaux devraient être mixtes.

La fonctionnarisation doit faire disparaître aussi les deux catégories inacceptables des anciens internes et non anciens internes, l’instruction hospitalière devant être unifiée par en haut.

Il est inutile d’insister sur les avantages immenses de la fonctionnarisation pour l’hygiène sociale, la disparition du profit pécuniaire dans l’indication des traitements, etc., etc.

Une autre objection qui est dressée contre la fonctinarisation est celle de la médiocrité des soins. On dit que le médecin n’ayant pas d’intérêt personnel soignera moins bien ses malades. Il suffit d’énoncer cet argument pour en voir, la laideur, l’injustice et la fausseté.

On dit aussi que les soins étatistes seront toujours inférieurs aux soins habituels. Je crois avoir, dans mon article antérieur, répondu d’avance à cette objection.

Enfin, reste une autre question, chère au corps médical : celle du libre choix. Je ne vois pas pourquoi la fonctionnarisation ne le respecterait pas, bien au contraire. Supposons que vous soyez atteint d’une maladie de médecine générale, ou même d’une affection spéciale : vous avez tout avantage à consulter le médecin de votre quartier. Mais ceci peut ne pas être obligatoire, tous les médecins de votre quartier peuvent vous être antipathiques, mais par contre vous avez grande confiance dans un médecin qui habite quelques kilomètres plus loin. Rien ne devrait vous empêcher d’aller le consulter et, au contraire, cet afflux supplémentaire de clients devrait constituer pour ce praticien une bonne note qui hâterait son avancement. S’il s’agit, d’une maladie spéciale que vous désireriez faire traiter par un autre que celui de votre quartier, le médecin général doit avoir l’obligation de vous y adresser ; s’il ne le faisait pas, vous auriez droit d’y aller de vous-même, en portant plainte à l’autorité hiérarchique contre le médecin fautif.

Cette question en pose une autre très importante. La société actuelle ne sait que punir ; elle ne sait presque pas récompenser. Que sont les rubans et les quelques maigres pensions à côté des milliers d’années de prison que les tribunaux distribuent un peu à tort et à travers chaque année ? Je ne veux:pas empiéter dans un domaine qui n’est pas le mien, mais la nouvelle organisation, en collaboration avec les avocats-fonctionnaires devra créer des règlements de récompense pour tous les efforts, pour toutes les découvertes, pour tous les mérites et aussi des sanctions pour les médecins médiocres, ou trop ambitieux. Mais surtout la plus grande bienveillance et indulgence doit présider les réunions punitives.

Ceci dit, continuons à envisager l’institution idéale de la médecine à Paris.

L’expérience ayant montré que la préservation de la maladie a infiniment plus de valeur que son traitement, il faut commencer par créer les instituts de santé et, comme toujours, prenant Paris comme type, ville que, pour faciliter le plan, nous devons considérer comme ayant exactement trois millions d’habitants.

La médecine bien comprise doit commencer par l’individu sain. Cette observation ne peut se faire que par des instituts très importants et très nombreux qui, dans la société future, prendront une importance de tout premier ordre. La médecine préventive, le dépistage des tendances morbides, systématiquement employés abaisseront considérablement le taux de la morbidité et de la mortalité et amèneront également une grande économie aux dépenses publiques.

Le premier rôle des instituts de santé doit être la création du livret de santé, livret individuel qui doit être établi à la naissance de chaque personne. Ce livret, chacun devra le conserver toute sa vie, il se remplira automatiquement de tous les épisodes pathologiques qui surviendront dans le cours de l’existence et où seront enregistrés toutes les visites médicales préventives et tous les traitements indiqués. Ce livret sera établi en double, un gardé par la personne intéressée et un dans les archives des instituts, toujours tenu à jour. Les instituts, suivant le déplacement des personnes, ne pourront envoyer que des copies.

Le second rôle des instituts de santé sera d’établir le certificat prénuptial sans lequel aucun mariage ne pourra être autorisé. Naturellement, la plus grande bienveillance et le plus grand secret présideront à toutes ces opérations qui, faites dans l’intérêt général, dans l’intérêt des intéressés et dans l’intérêt de leurs enfants ne pourront être considérées partout que comme un très grand bienfait.

Enfin le troisième rôle des instituts de santé sera celui de la visite de santé annuelle, obligatoire. Tous les ans, tout habitant de Paris depuis sa naissance devra être présenté ou se présenter, sauf le cas de maladie bien entendu, à la visite médicale préventive de santé. Pendant la maladie, le livret individuel continue à être rempli par le médecin traitant, la copie étant envoyée aux archives de l’institut.

(à suivre.)

Dr H. Jaworski.