Un sauvetage fort discret
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Mise en ligne : 9 décembre 2006
En mai 2003, Ben Bernanke, alors membre du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine dont il est devenu en janvier 2006 le président, se rendit à Tokyo pour proposer aux Japonais une action concertée urgente. Il dit à ses interlocuteurs que la Réserve fédérale américaine était prête à sacrifier le pouvoir d’achat des consommateurs américains, (baisses d’impôts et faibles taux d’intérêt pouvant peut-être encore les inciter à acheter des choses dont ils n’avaient pas besoin avec de l’argent qu’ils n’avaient pas). Mais pour cela, il fallait que le Japon aide à maintenir à un niveau peu élevé les taux d’intérêt américains en achetant des dollars et des bons du Trésor américains. C’est bien ce qui se passa, comme le raconte Richard Duncan [1] : « En 2003 et pendant le premier trimestre de 2004, le Japon procéda à une expérience monétaire remarquable, remarquable par l’impact qu’elle eut sur l’économie mondiale et tout aussi remarquable parce qu’elle passa presque entièrement inaperçue dans la presse financière. Durant ces quinze mois, les autorités monétaires japonaises créèrent 35 mille milliards de yens, c’est à dire à peu près l’équivalent de 1% du produit économique mondial annuel. Cela représente 2.500 dollars pour chaque Japonais, et, à peu près 50 dollars par personne si on répartissait également cette somme entre tous les habitants de la planète. En bref, c’était une création monétaire à une échelle jamais vue en temps de paix » [2].
On peut se demander pourquoi les Japonais créèrent autant de monnaie. S’ils ne l’avaient pas fait, leur monnaie se serait renforcée et leurs produits seraient devenus moins compétitifs sur le marché américain. S’ils ne l’avaient pas fait, le dollar se serait encore plus affaibli par rapport aux autres monnaies [3]. S’ils ne l’avaient pas fait, les Japonais n’auraient pas eu de dollars pour acheter des bons du Trésor américain, ce qui aurait fait monter encore plus les taux d’intérêt. Les consommateurs auraient eu moins d’argent à dépenser et le monde entier aurait probablement subi une grave crise économique [4].
« Intentionnellement ou non, précise Duncan, en créant et en prêtant l’équivalent de 320 milliards de dollars aux États-Unis, le ministre japonais des finances neutralisait un raid du secteur privé sur le dollar et finançait du même coup les baisses d’impôts américains, ce qui relança l’économie mondiale, tout en maintenant les Bons à long terme à des taux d’intérêts proches de leur niveau historiquement le plus bas. En 2004, l’économie mondiale eut un taux de croissance jamais atteint dans les 30 dernières années. La création de monnaie par la banque du Japon à une échelle sans précédent a peut être été le facteur le plus déterminant de cette croissance. En fait, ces 320 milliards de dollars ainsi créés pourraient avoir fait la différence entre la reprise et la déflation mondiale. Mais il est bien étrange que l’on n’en ait pas parlé » [2].
[1] Richard Duncan a travaillé comme analyste financier pendant plus de 16 ans dans plusieurs compagnies ou organismes de haut niveau : Salomon Brothers, HSBC securities, Fonds monétaire international et Banque mondiale.
[2] Richard Duncan, The dollar crisis, ed. Wiley, 2005.
[3] Sur la crise du dollar, voir aussi www.lewrockwell.com/blumen/blumen6.html
[4] Bill Bonner et Addison Wiggin, Empire of debt, ed. Wiley, 2006.