Intoxication ? Non, empoisonnement !

Actualité
par  J.-P. MON
Mise en ligne : 9 décembre 2006

On se souvient [1] que le Medef s’est vivement opposé au projet de loi du gouvernement destiné à permettre aux associations de consommateurs d’engager des “actions de groupe” contre les entreprises qui leur causent des dommages.

Il bénéficie aussi, ce qui n’a rien d’étonnant, du soutien plus ou moins affirmé d’économistes “libéraux”, comme le montre l’article publié dans la page Débats du Monde du 11 novembre, intitulé Le piège de la “class action”. Son auteur, Mathieu Lainé, « avocat et maître de conférences à Sciences Po » [2], y dénonce vigoureusement le projet du ministre de l’Économie et des finances en ces termes : « Vecteur de puissance pour l’association de consommateurs et signe de tous les dangers pour l’entreprise visée, il constituerait une atteinte grave aux principes les plus essentiels de notre procédure civile ». Rien que ça ! Et, en bon “libéral”, il s’indigne : « Comment peut-on souhaiter déresponsabiliser l’individu à un point tel que d’autres agiront désormais en justice à sa place, sans qu’il ait à y penser ni même qu’il soit au courant, pour déblayer le terrain et lui donner ensuite la possibilité d’aller tranquillement réclamer sa quote-part, sans avoir subi les risques et les coûts propres à toute action en justice ? » Diable, l’avocat raisonne comme un psychanalyste : il faut payer, et cher, pour que le traitement soit efficace ! Il n’hésite pas non plus, à l’occasion, à semer la terreur : « Donner à des associations le pouvoir de lancer des “class actions” revient enfin à leur accorder une présomption de représentativité aussi dangereuse que celle accordée en 1966 aux syndicats et à leur confier une terrible arme de destruction économique massive, dont personne ne peut aujourd’hui mesurer les effets en termes d’emploi, de croissance et de délocalisations ». Le cher maître n’y va pas avec le dos de la cuillère des poncifs libéraux et c’est peu dire ! N’en pouvant plus, il ne se retient pas et il explose : « Dans un pays qui triomphe par l’inquiétante défiance de sa population face à l’économie de marché, il est même stupéfiant que l’on entretienne les idées reçues et que l’on crée une nouvelle incitation à sortir de France sous prétexte de “créer des contrepouvoirs au libéralisme” ». Lui, bien sûr, n’a pas d’idées reçues ! Il en a même d’originales pour résoudre ces petits problèmes entre consommateurs et entreprises : « Nous avons au contraire toutes les raisons de croire dans la meilleure des régulations : la libre concurrence. Les clients sont libres d’acheter les produits à qui ils veulent. La moindre imperfection du service offert par un acteur du marché est exploitée par ses concurrents, qui sont incités à améliorer leurs prestations pour attirer les consommateurs ». C’est beau d’être jeune… mais inquiétant de penser que dans des institutions universitaire renommées de faux naïfs répandent de telles idées reçues, démenties un peu plus chaque jour par les faits.

Plus pernicieux encore : Dix-sept “experts” du Cercle des économistes, qui rassemble une trentaine de personnalités « aux horizons professionnels variés et aux sensibilités politiques différentes » [3], viennent de publier, le 2 novembre, un ouvrage intitulé Politique économique de droite, politique économique de gauche, destiné à « apporter une pierre utile aux confrontations des prochains mois ». Selon eux, l’élection présidentielle de 2007 prend un « caractère vital, compte tenu du temps qui a déjà été perdu par la France ». Ils se disent tous convaincus que « seule la volonté politique peut […] incurver la trajectoire économique qui, dans une économie mondialisée et à dominante libérale, qu’on le veuille ou non, dicte sa loi ». Autrement dit, si on les suit, tout est, a priori, verrouillé : on peut à la rigueur « incurver » mais pas changer la trajectoire économique. Forts de cette conviction, ils explorent les « degrés de liberté » qui restent aux gouvernants, puis recensent douze « grands chantiers » et une centaine de projets sur lesquels la droite et la gauche pourraient marquer leurs différences. Dans la première partie de l’ouvrage, « Agir dans les espaces de liberté et vite », les auteurs donnent « leur juste place » aux contraintes qui s’imposent à la France : ouverture aux pays émergents, concurrence fiscale, contraintes budgétaires, règles et normes du capitalisme…

À partir de cet inventaire, ils identifient les « vrais sujets » sur lesquels la France doit avancer : la réforme de l’État, la situation « insoutenable » d’un pays combinant faible durée individuelle du travail et faible taux d’emploi, la nécessité de revisiter son contrat social… Puis les auteurs passent en revue les “grands chantiers” actuels : l’entreprise, l’emploi des jeunes, l’avenir de l’université et de la recherche, la politique industrielle … Selon eux, c’est sur chacun de ces points « qu’il faut que le citoyen sache quel est le pôle qui électoralement, l’aimantera » : par exemple, le maintien du statut des fonctionnaires ou bien la réduction des personnels, la défense des 35 heures et du Smic ou bien l’allongement de la durée du travail sur la vie, la fiscalité redistributive ou bien une réduction des impôts sur le capital et une baisse des charges pesant sur les entreprises, etc. Ce sont, en effet, des « choix qui restituent une dimension politique au débat économique ». En fait, si l’on doit prendre en compte les contraintes qu’ils considèrent comme incontournables, il ne reste, pour la droite comme pour la gauche, aucun choix possible, c’est la régression économique et sociale qui nous attend.


[1Voir GR 1068, août-septembre 2006, page 2.

[2Certains cumulent les emplois… M Lainé ne doit être que l’un des 1.434 enseignants vacataires que compte Sciences Po, où il n’y a que 66 enseignants titulaires.

[3Le Monde, 04/11/2006.