Droit au travail et progrès social


par  J. DUBOIN
Publication : 1er novembre 1935
Mise en ligne : 2 décembre 2006

Quel est l’objet de cette nouvelle Ligue ?

D’abord, elle n’est pas nouvelle, puisqu’elle a plus d’une année d’existence.

Ensuite, ce n’est pas une Ligue sur le modèle des autres. Ses membres ne se proposent pas de descendre dans la rue et de troubler l’ordre public. Ils déplorent même que ces intentions aient pu germer dans l’esprit de leurs contemporains exaspérés par un mal qui ne sévit pas exclusivement chez nous, mais qui fait des ravages dans tous les grands pays civilisés.

L’objet de notre Ligue n’est même pas politique. Nous prétendons qu’il ne s’agit pas d’être contre quelqu’un, ni même contre un parti, car c’est vraiment un peu simpliste que de s’imaginer qu’on peut résoudre le problème qui se pose en se bornant à changer les hommes. On y a cru aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie, en Belgique ; nulle part le chômage n’a disparu. Les magasins continuent à être pleins de marchandises et les rues pleines d’aspirants-consommateurs. Les monnaies dansent une sarabande, mais ne viennent pas, pour cela, dans la poche de celui qui en a besoin pour faire vivre sa famille.

Il s’agit donc bien d’un problème qui se pose à tous les gouvernements, quels qu’ils soient. C’est le même que tous les grands pays évolués ont à résoudre et qui se pose ainsi comment faire pour que les hommes consomment tout ce qu’ils peuvent produire et tout ce qu’ils, seraient si heureux de consommer ?

Travaillez ! répond la sagesse des nations.

Mais c’est précisément le travail qui manque !

***

La « Ligue pour le Droit au Travail et le Progrès Social » a pour but de faire connaître le sens profond des événements qui se déroulent autour de nous et nous déconcertent par leurs incohérences.

Elle ne demande donc à aucun de ses adhérents de quitter le parti politique de son choix et -que le hasard, demain, peut porter au pouvoir.

Mais elle voudrait que, dans chaque parti, on voulut bien étudier le problème qu’il faudra résoudre coûte que coûte.

Car il sera résolu, n’en doutez pas ; la terre ne s’arrêtera pas de tourner sous prétexte qu’un prodigieux progrès de toutes les techniques a rendu le travail humain de moins en moins nécessaire.

La Ligue fait donc appel à toutes les bonnes volontés, qu’elles viennent de droite ou, de gauche, car cela n’a pas la moindre importance.

Elle réclame simplement des hommes qui raisonnent de bonne foi en faisant taire, au moins sur ce terrain-là, leurs passions politiques.

Elle dit à tous : « Du moment que le travail, même réduit, est encore nécessaire, il est juste que chacun en ait sa part. Sans quoi, il n’est plus possible de vivre... »

Or, voilà bientôt cinq ans qu’on annonce que tout va s’arranger, alors que tout s’aggrave.

N’est-ce pas tout simplement parce que les hommes tournent le dos aux véritables solutions  ?...

Est-il admissible qu’ils deviennent de plus en plus malheureux sous prétexte que la science vient les libérer de la plus grosse part de leur travail ?...

Un grand physicien, Jean Perrin, annonçait, l’autre soir à la T. S. F., que l’avenir de tous les hommes était magnifique, qu’ils connaîtraient bientôt l’abondance de toutes choses et qu’ils bénéficieraient de loisirs dont ils ne se font aucune idée, même dans leurs rêves les plus extravagants.

Jean Perrin a raison. L’abondance est à nos portes, et les loisirs ont fait leur apparition par la porte basse du chômage.

Mais, pour que la prophétie de Jean Perrin se réalise, it faut s’adapter. Il faut que le progrès social rejoigne le progrès technique.

Cette adaptation se fera inéluctablement, parce qu’il n’est pas possible de faire autrement. S’y opposer, c’est condamner tous les jours un peu plus d’hommes à la misère qui finira par nous submerger tous, sans exception.

Cette adaptation sera imposée par une dictature de droite ou de gauche, même dans le cas où elle n’aurait pas cet objectif en vue. Elle risque simplement d’y parvenir dans un désordre qui fera d’innombrables victimes.

Des Français, épris de liberté, devraient vouloir l’éviter.

Et, s’ils le veulent, ils le peuvent.

Jacques DUBOIN,
Président de la Ligue.