L’oppression douce

Dossier : l’utopie (suite du N° 1003)
par  J. AURIBAULT
Mise en ligne : 26 mars 2009

L’oppression douce commence par le prosélytisme médiatique comme on vient de le voir. Mais, en réalité, elle est déjà présente, le discours libéral n’étant que la justification d’un processus déjà engagé. La liste des con-traintes, violen-ces par abus d’autorité et asservissements qui constituent l’oppression quotidienne serait longue à décrire. Elle n’est pas toujours visible car elle crée, comme l’écrivait Camus, « une muette hostilité qui sépare l’oppresseur de l’opprimé ». Questionnez les actifs, ils vous dirons que le temps de travail s’allonge et la densité réelle de la tâche s’alourdit. Toute activité fait l’objet d’audit, de gestion à flux tendu, de stratégie.

…et l’oppression forte :

Les 5, 6 et 7 février dernier, la communauté immigrée qui travaille dans les serres d’Andalousie a été victime d’un véritable pogrom, tenu sous silence.

Le Forum Civil Européen a réuni une commission internationale pour mener une enquête qui s’avère édifiante. Alors si vous voulez savoir dans quelles conditions (européennes et libérales) sont produits les légumes que vous trouvez hors saison dans les supermarchés, lisez son rapport en commandant la brochure (120 pages illustrées, 60 F )

El Ejido, Terre de non droit
au
Forum Civique Européen,
Mas de Granier, Caphan,
13310 St Martin de Crau.

Le chômage baisse d’après la courbe officielle, mais les emplois précaires augmentent (un CDD n’est-il pas une activité intérimaire déguisée ?). Pendant ce temps on manque de personnel qualifié dans de nombreux domaines… Ne serait-ce pas que la conséquence du nouveau concept libéral “d’employabilité” se subtitue à celui de métier ? Car apprendre un métier demande du temps et on est pressé… Face à cette agitation moderniste, à cette boulimie de changements dans les activités humaines, les informations non-stop sur les radios ou la télévision nous forcent à subir les cours oscillants de la Bourse en temps réel. Quant aux discours politiques, ils reflètent Le nouvel état d’esprit du capitalisme[[Titre de l’essai de Luc Boltanski et Eve Chiapello, NRF- essais, Gallimard], fait d’un amalgame de litanies managériales, de notions soixante huitardes récupérées pour le compte du capitalisme. C’est dans cet environnement médiatisé à outrance que s’opère l’oppression douce.

Les utopies contre l’oppression douce

L’oppression douce est-elle à l’origine du pessimisme ressenti par les Français lors de la dernière récente enquête sur leur moral, alors que l’économie affiche un taux de croissance élevé ? Il est vrai que, comme le disait Edmond Maire, « on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance »… Ce pessimisme des Français, qui semble s’opposer à l’enthousiasme faussement naïf de jeunes patrons ou d’économiste adeptes de la pensée unique, rappelle la fameuse “morosité” ressentie par les Français sous le gouvernement Pompidou, quelques mois avant 1968 ! On ne peut leur reprocher d’avoir un manque de visibilité (en jargon actuel !) sur l’avenir que proposent aussi bien les droites libérales que les socio-libéraux. Si l’oppression douce continue à son propre rythme, nous risquons d’aboutir, non pas obligatoirement à Big Brother, mais comme le redoutait Emmanuel Mounier, à « une société sans visage, faite d’hommes sans visage, où flotte parmi les individus sans caractère, les idées générales et les opinions vagues, le monde des positions neutres et de la connaissance objective. »

Derrière l’oppression douce, les menaces sont déjà réelles : destruction de l’environnement naturel, discriminations génétiques, fin de la vie privée, domination des esprits. Il faut en être conscient : l’oppression capitaliste est en marche. Son véritable objectif est d’intégrer de plus en plus d’activités humaines dans sa sphère financière. Que reste-t-il au citoyen qui se veut libre et autonome ? L’insubordination active, qui ne peut se manifester que dans des utopies créatrices d’une société où “l’exploitation de l’homme par l’homme” deviendra une formule archaïque. L’économie distributive demeure sans doute encore une des utopies les plus réalistes, mais le chemin est bien long pour convaincre…